Le Périple de la fleur de Mai – Nouvelle (Partie I)

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23 septembre 1620

Voilà une semaine que nous avons quitté notre beau monde. L’excitation à l’annonce du voyage s’est évaporée. Une semaine que nous avons vécu les premiers enjeux de la traversée, depuis la partance du trois mâts à Plymouth. Avons-nous fait le bon choix ? Tout le monde en était persuadé. Maintenant, le doute pèse sur nos épaules déjà bien lasses. Nous avons tout quitté, c’est le prix pour ce que nous pensons être un nouveau départ : loin de la fureur de notre roi, un chemin vers la liberté et pour certains, la richesse.

Nous ne sommes pas moins d’une centaine, à bord de ce petit navire marchand. Nos motivations changent de peu : nous fuyons. Pour certains, la pauvreté, pour d’autres comme moi, la persécution. Certains ne sont que des étrangers que ce voyage n’a jamais autant rapprochés.

L’idée de la gloire qui nous attend, au-delà de ces flots sombres qui roulent avec menace sous nos pieds, me berce. Papa dit que nous sommes partis pour le meilleur. Mais c’est avec amusement que je discernais aussi un certain désir d’aventure dans ses propos. J’ai confiance en ce voyage, je ne crains pas comme ces mères qui se tassent auprès de leurs enfants. J’ai pris la plume pour te raconter tout cela, cher carnet. L’écriture n’est-elle pas déjà un bon début vers la liberté, après tout ?

 

1er octobre 1620

La coque continue de fendre l’océan, inlassablement. Je remercie le Seigneur pour les rayons du soleil qui caressent ma peau tandis que j’écris ces mots. Oh, si tu voyais, cher carnet, comme les jours de pluie sont abominables ! Des enfants sont déjà tombés malades, maman a peur que moi et ma sœur soyons les prochaines… Heureusement, un médecin est à bord et s’occupe de remettre les malades sur pieds.

Au matin, je déteste retrouver des rats sous mes oreillers. La nuit, ils te mordillent les oreilles et ne te laissent pas une seule minute en paix. Ah ! ces vilaines bêtes ! Je me console avec la lecture des quelques livres emportés – chut ! surtout, ne dis rien à papa. Après tout, dans le Nouveau Monde, il n’y en aura pas pour égayer sa journée. Il faudra y construire une imprimerie, mais je doute que cela soit la préoccupation première des voyageurs… tant pis, quelle joie de pouvoir écrire mes propres histoires ! Mais attention ! cela pourrait être mal vu qu’une jeune fille comme moi prenne la plume…

Papa, en homme serein qu’il est, passe ses journées à raviver les espoirs perdus de nos compagnons. Ce n’est pas chose facile lorsque les familles sont déchirées par la distance… Nous ne sommes même pas sûrs de revoir un jour nos proches tant aimés. Malgré tout, il faut poursuivre !

Étrangement, lors du premier départ de Londres, personne n’a tenté de nous a retenus, même pas la garde royale ! Pourrais-tu seulement imaginer la joie exprimée sur leurs visages ? « Bon vent ! » criaient-ils, à fêter ce qu’ils pensaient être notre prochaine mort. Comment peut-on être aussi cruel ?

Quant à moi, je n’ai qu’une pensée de pitié pour ces pauvres hommes…

 

12 octobre 1620

Ah, combien j’aurais souhaité que ces courbatures cessent ! Je n’en peux plus de cette promiscuité. Mes jambes ne demandent qu’à se dégourdir et mon dos, un matelas moelleux. Il m’arrive de marcher sur le pont afin de discuter avec qui le veut. C’est ma façon à moi de tenir le coup et je n’oublierai jamais les sourires de reconnaissance lancés en réponse à mes preuves de chaleur. J’ai aussi appris une belle histoire ! Oui, celle de notre fameux navire, le Mayflower. Ce trois mâts de 90 pieds a été construit au début des années 1600, par des Hollandais. Et devine quelles marchandises il pouvait bien contenir. Des peaux, du vin et du bois ! Ce n’est pas une grande richesse, mais cela me donne une certaine fierté de parcourir ses planches. Comme nous, il sera le premier bateau à s’installer définitivement sur la nouvelle terre !

Nous ne savons pas bien combien de temps encore nous devrons attendre pour atteindre destination. Mon père parle d’un mois lorsque d’autres réfutent deux ou trois semaines seulement. Oh, comme j’ai hâte ! Non pas que je n’aime pas l’océan, j’ai appris à apprivoiser ses états d’âme et lui trouver une certaine beauté, mais je me languis de découvrir un tout nouveau décor.

Les maladies se font plus sévères et les chiens ne tiennent plus en place. L’agitation règne par moments, ponctuée des cris de désespoir des femmes et des grondements sourds de leurs époux. Les nuits sont de plus en plus insupportables, c’est à peine si on ferme l’œil ! On se marche dessus, on se plante les coudes, les disputes éclatent et avivent la colère et le moral déjà bien bas. Parfois, l’image d’une flamme me vient à l’esprit. Elle ronge le bois, devient plus grosse, prend encore et encore du terrain. Cette mauvaise humeur-là n’est pas si dissemblable : elle empoisonne les cœurs et les montent les uns contre les autres.

Seigneur, si tu entends nos cris de détresse, fais apparaître la terre sous nos yeux avant que le plus grand des malheurs ne nous foudroie !

 

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