V
Des bras la cueillirent du sol. La Mort serait-elle enfin venue achever son supplice ? Non. Car il y avait tant de douceur dans ces gestes, tant de chaleur… Gaëlle coinça son nez dans la nuque fraîche. Un parfum agréable se dégageait de la chevelure brune qui lui voilait la face.
Une main délicate qu’elle connaissait si bien vint davantage la presser contre sa poitrine. Encore, la fillette pleura. Mais ce n’était plus d’horreur ni de douleur. C’était d’un soulagement si puissant qui avait fini par délier chacun de ses muscles. Elle se laissa aller, bercée par la douce mélodie chantée :
« N’aie crainte », lui disait-on. « Je suis là ».
Tante Jeanne, aurait-elle voulu murmurer de délice. Les lèvres pâteuses, elle se contenta de serrer plus fort. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’elle hasarda un dernier coup d’œil en direction du miroir. Consternation.
La mauvaise bande s’en était allée, laissant le petit écolier aux soins d’une autre petite fille. Ils se souriaient, lui, malgré son beurre noir. Les doigts agiles appliquaient des compresses, de mouvements calmes et sûrs.
Dans la rue, nuit de plomb, le corps fatigué de la femme fut ramassé par un autre. La lumière d’une habitation ouverte se diffusait dans le noir, tel un appel à la vie. On pressa les deux d’entrer pour se servir au chaud. Sur le visage de la pauvre, des traits stupéfaits mêlés à une reconnaissance sans bornes.
Le père cessa tout à coup de battre son enfant. Blême, il fixa ses mains coupables. L’enfant, toujours appuyé contre le mur, observa d’un oeil inquiet. Ils se considérèrent, incompris. Hébétés. L’homme sanglota à chaudes larmes. L’enfant se jeta dans ses bras. Ils se serrèrent avec la force du pardon.
Enfin, une silhouette se glissa au chevet du mourant. Une main se noua autour de celle pâle. Le second soldat frictionna son épaule et lui chuchota des paroles réconfortantes. Le blessé, lui, ferma lentement les paupières et s’éteignit peu à peu auprès du cœur aimable, non plus seul.
Sur le visage de Gaëlle, un sourire éternel.
« Le Monde sera toujours redoutable » annonça alors la voix tendre de sa tante. « Et parfois, même plus. Mais n’oublie jamais une chose : en tout temps, l’amour vaincra. »
Gaëlle s’endormit sur cette promesse.
Le miroir perdit de sa lueur pour ne se transformer qu’en une surface lisse, reflet de la vie qui l’entoure. Reflet d’une vie qui existe, malgré toute la noirceur qui l’englobe.
Epilogue
Bien des années plus tard…
La main de Gaëlle frémit sur une feuille tandis qu’elle se jetait corps et âme sur la rude tâche : l’écriture d’une lettre. Devant elle, le miroir toujours fidèle lui inspirait ses destinataires. Une lettre pour chaque cœur en peine, ainsi que Jeanne se l’était promis de faire – ainsi que Gaëlle s’était promis d’imiter.
Car tel était le pouvoir du miroir. Car tel était son devoir à elle.
Écrire des messages de paix et d’espoir.
FIN