Billes de combat – Nouvelle (partie IV)

UN HIPPIE UN PEU ÉPIQUE

Nico avait changé.

La remarque avait été flagrante à leurs retrouvailles en bord de mer. Tunique légère et colorée. Lunettes aux reflets rosés. Sourire parti en vacances.

Chris se trouva bien embêté aux côtés de cet inconnu qui contemplait les vagues dans un silence méditatif. Il pensait lui proposer une partie de récolte aux coquillages lorsqu’il fit apparaître de sa poche un bâtonnet de papier où s’agglutinaient quelques herbes. Le craquement d’un briquet l’enflamma avant que le jeune homme ne le place dans son bec.

« La famille va bien ? demanda-t-il alors, comme s’il se souvenait de la présence du garçon.

– Ou… oui.

– Profites-en, ça ne va pas durer. Ma mère, je la supporte déjà plus. »

Ce fut tout. Chris joignit ses mains, en quête d’une idée qui sauverait la conversation. La seule qu’il trouva ne fut que plus maladroite : « C’est quoi ton délire avec les lunettes ?

– Pardon ?

– Bah, tu portes du rose. C’est pour les filles ça.

– Mais elles sont cool ces lunettes ! Et ne sois pas si fermé d’esprit. Les couleurs, ça appartient à personne. »

Nouveau silence. Chris enterra à jamais son envie de jouer avec les crabes.

« Qu’aimerais-tu le plus au monde, Chris ? » se lança à nouveau le jeune philosophe. Le garçon écarquilla des yeux avant d’hausser les épaules. « Quoi, rien ? Même pas des filles ? Et la liberté, tu l’oublies ? »

Chris n’aurait jamais pu l’oublier. Car il n’y avait à vrai dire jamais pensé.

« Moi, je rêve de partir », poursuivit le rêveur en inhalant une énième bouchée de sa clope odorante. Chris s’étouffa dans un nuage de fumée. « Loin de ma mère. Loin de toutes ces conneries. Avec ma copine, on va partir vers l’Ouest. Se faire une nouvelle vie, découvrir de nouveaux horizons… Il n’y aura que la mer pour me manquer. »

Chris non plus n’aurait rien à manquer de ce départ. Il manquait déjà son vieux camarade de jeu.

Pourtant, cette nouvelle philosophie l’intéressait et Chris n’avait pas laissé de côté l’interrogation qui le rongeait depuis quelques jours. Il s’empressa sans plus tarder de le confier :

« Dis, Nico. Tu penses quoi de cette lutte pour le droit des Noirs ?

– Toute innovation est un pas vers le nouveau monde. Le souci, c’est que tous ces imbéciles ont peur du changement. Voilà pourquoi il ne se passe jamais rien de bon.

– Je pensais que tu n’étais pas d’accord avec ta mère.

– C’est le seul point sur lequel on s’entend. Avec cette foutue guerre du Viêt Nam.

– C’est pas bon la guerre ?

– Tu plaisantes ? C’est la seule chose qui n’amène pas de changement positif. Tu crois que c’est une solution de massacrer les vies jusque-là tranquilles de civils pour arrêter cette merde de communisme ? La violence, ça n’y changera jamais rien.

– Je suppose que t’as raison… »

Chris se rappelait dorénavant ce mouvement hippie qui avait séduit le cœur de son cousin. Beaucoup s’étaient d’ailleurs rendus à la marche de 1963, proclamant l’amour et la paix avant tout. Son père avait parlé d’esprits dégénérés qui se consolaient dans la drogue et cherchaient un sens à leur vie dans l’introspection et le voyage. Aussi fous que pussent être les rêves de Nico, Chris n’en admirait pas moins sa nouvelle assurance.

Il n’avait plus qu’à lui souhaiter bon voyage…


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