
Un lecteur interpelle l’auteur de sa dernière lecture qu’il tient en main.
LECTEUR – Quel livre ! Il pourrait tout aussi bien être le prochain best-seller des Français, si j’en crois son succès en librairie.
AUTEUR, une main flattée sur le torse – Que de compliments, mon cher ami, ne soyez donc pas trop optimiste ! Mais parle-moi donc de tes impressions sur mon roman ; je suis dans la terrible impasse du writer’s block et j’ose espérer que tu saurais m’en sortir.
LECTEUR – C’est qu’il y a tant à dire !
AUTEUR – Ah, voyons… Que penses-tu donc du climax de mon roman ? Ce n’est jamais le plus évident à écrire.
LECTEUR – C’est que je suis bien souvent déçu, mais le tiens reçois tout mon respect. La subtilité avec laquelle tu l’avance nous fait prendre de plein fouet ce qui suit… Oh, mais quelle révélation faite au personnage !
AUTEUR – Sûrement, tu en dis plus que tu ne le penses, mon ami. J’étais particulièrement fier de mon Kli-fengeur[i] à la fin du chapitre dix ; qu’en as-tu pensé ?
LECTEUR – Ah ça… le suspense est bien mené tout le long du récit, mais ce chapitre ne m’a pas tant impressionné. C’est assez de coutume de voir la belle enlevée…
AUTEUR – Comment ! Mais c’est là toute la perle de mon roman ! Je l’imaginais un plot twist des plus intéressants qui épaterait mon lecteur… Mon ami, cette fois je pense que tu te trompes sur ton jugement. Mais passons : qu’en est-il de ma plume ?
LECTEUR – Tu maîtrises particulièrement ton show don’t tell, c’est plaisant à lire !
AUTEUR – Et les dialogues ?
LECTEUR – Pas aussi cools, mais cela fonctionne.
AUTEUR – Il faudra donc que je retravaille tout cela pour mon prochain Urban Fantasy à côté de tout le Worldbuilding nécessaire… Tu en lis beaucoup, n’est-ce pas ?
LECTEUR – J’ai ma préférence pour les Fanfiction .
AUTEUR – Ah… c’est que je n’aime pas écrire. Crois-tu que l’on continuera tout de même à me lire ?
LECTEUR – Pas d’inquiétudes : un bon pitch, comme pour ce premier roman, et cela fera l’affaire ! Le mieux serait de penser également à des Spins-off de toutes tes réussites !
Le lecteur conçoit une tape bienveillante sur l’épaule de l’auteur.
LECTEUR – Au fait, as-tu fait ton coming out ? Comment ta famille a-t-elle réagi à ta décision de devenir écrivain ? On dit que cela n’est jamais très évident…
AUTEUR – Ah, ça, je ne te le fais pas dire ! Ils m’ont bien ri au nez ces incrédules. Ils verront quand je deviendrai le prochain best-seller, comme tu dis. Cette fois, ce ne sera pas un simple One shot, je veux me lancer dans plus grand !
Le lecteur sort le champagne et tous deux se considèrent avec complicité. L’alcool coule à flot et on trinque.
LECTEUR, relax avec son verre à bulles – Quelle est riche la langue, tout de même !
AUTEUR – En effet. Mais ne parlons pas d’écriture en français, cela ferait un peu old-fashioned…
[i] « Cliffhanger » prononcé à la française
Derrière ce partage humoristique des habitudes actuelles des écrivains français se cache une réelle incompréhension de l’écrivaine que je suis : en effet, pourquoi s’acharner à définir et exprimer l’écriture – pourtant construite avant tout sur la langue française, en ce qui nous concerne – sous une autre langue, pour la seule excuse de ne vouloir se les créer nous-mêmes ? L’écrivain français aurait-il dont perdu toute notion de création ? Il me semble voir là le problème d’une grande oisiveté chez l’écrivain français qui se contente d’étoffer sa littérature par le biais d’une littérature française.
Dans ce post instagram, je vous partageais ma frustration de vivre entre deux langues – l’anglais et le français – avec le constat que ces deux mondes, bien que riches, se distinguaient particulièrement dans leur fonctionnement. En d’autres mots, on ne peut pas rapprocher la littérature française à la littérature anglaise ! C’est l’erreur que commettent beaucoup de nos compères français, en ne glanant que des conseils d’écriture des écrivains anglophones : ils ne peuvent alors entièrement les appliquer pour eux-mêmes.
Etudiante d’anglais et bilingue, je pourrais être la mieux placée pour ainsi parler de mon activité – pourtant, je m’y refuse fermement. J’écris en français, alors je m’exprime français !
Je vous le demande : quel devoir pensez-vous être le nôtre ? Etoffer notre propre littérature ou se contenter d’en compléter une autre ? Pourquoi le français est-il si négligé, voire fait-il tant honte ? Je pense sincèrement qu’il y a quelque chose à corriger dans notre perception de cette langue, pourtant bien belle, et qui a connu ses heures de gloires par la littérature passée !
Sur quoi, j’ai hâte de visiter vos opinions en commentaire !
