Un Sacré soir d’Halloween

Il n’y avait rien de plus plaisant qu’un bon soir d’automne chez les Emerson. Pour Maman, rien ne valait une bonne infusion entre ses doigts frileux. Pour Papa, c’était plutôt l’occasion de ressortir les bons pulls de grand-père. Mais pour Elise, ce qui l’intéressait le plus était le fameux soir d’Halloween.

Ah, Halloween ! Ce mot qui sonnait avec « hello » et ouvrait toutes les portes et les cœurs à l’accueil. Elise n’avait toujours qu’une hâte : celle de retrouver ses audacieux camarades qui, année après année, trouvaient toujours plus habiles déguisements à se vêtir. Il y avait alors l’euphorie de l’instant, celui des poursuites à travers les rues pour qui réceptionnera le plus de bonbons. Lorsque le compte était fait, tous devaient une gourmandise de son choix au vainqueur. Cette année, Elise n’escomptait pas de se laisser battre.

Elle s’y était apprêtée depuis plusieurs mois, déjà : en gagnant plusieurs courses en classe d’EPS, puis en fouillant sans vergogne le grenier poussiéreux de la maison. Lorsqu’elle eut réuni tout à fait ce qui lui fallait, elle s’était aussitôt mise à la tâche de compléter son costume. Quel visage fier que lui renvoya le miroir dans sa chambre ! Quelle impression ne donna-t-elle pas à Papa et Maman en débarquant tout à coup dans le calme de leurs soirées !

« Tu seras la plus belle, assura généreusement Papa.

– Tu seras la plus redoutable », s’accorda Maman.

Tous deux souriaient de tendresse aux efforts de la jeune fille, loin de se soucier de ses réelles motivations. Elise se ragaillardit de ses compliments et s’entêta dans sa prochaine victoire.

Elle avait également quémandé à sa mère le meilleur choix de bonbons et la plus grosse des citrouilles à creuser – car la victoire seule ne pouvait la satisfaire : il lui fallait l’entière approbation de tous ses camarades.

La citrouille était également effroyable – ainsi que gratifièrent Papa et Maman. Elise s’était éprouvée toute une après-midi, à s’assurer de l’excellence de son dessin. A présent, l’ignoble grimace offrait ses dents à tout venant, comme un fidèle chien de garde au seuil de sa porte. Elle fit même promettre Maman d’y placer une bougie, une fois l’ombre bien avancée, afin que du plus loin la citrouille soit vue.

Tout était prêt. Tout allait pour le mieux.

Lorsque l’heure était pour elle de s’en aller rejoindre ses amis, Elise avait parfait son déguisement de monstre. Elle s’en alla, toute fière, parcourir les rues et saluer ses voisins de la main. Son sac pendait encore à son côté, mais il ne saurait trop tarder de le remplir. 

Enfin, elle gagna le seuil de la maison de son amie. Une cloche l’annonça et elle inspira de confiance, presque dans la hâte des inéluctables éloges.

C’est alors qu’elle le remarqua : un rictus, si hideux qu’il la fit reculer d’un bon pas. Les yeux plissés de colères projetèrent sur elle des flammes terribles et elle retint un hoquet de peur. Il lui fallait bien constater : la citrouille de son amie était des plus réussies – et bien plus grosse que la sienne ! Elle n’eut le temps de méditer d’avantage, car déjà on ouvrait.

« Bouh ! » fut l’habituel accueil de son amie. Elise se toutefois garda de toute réponse, davantage pour dissimuler sa soudaine horreur de la sorcière loqueteuse qui se penchait vers elle.

Comme ni l’une ni l’autre n’émettait plus le moindre mot, Elise se vit obligée de porter le premier compliment : « Comme tu es effroyable ! »

Ce à quoi, son amie répliqua d’un haussement des épaules.

« Je n’ai pas eu à y faire grand-chose. C’est ma tante couturière qui me l’a fabriqué. »

Elise grinçait des dents derrière son masque. Les choses ne se passaient pas tout à fait comme elle se l’était imaginée – mais, tant pis ! Il y avait encore la course pour affirmer son succès.

Les deux amies rejoignirent leurs camarades, sous les branches dénudées des arbres et du parc et la pluie de feuilles mortes. Quelle joie de se retrouver ensemble ! Mais on ne félicita que bien chichement Elise pour son costume – les autres étaient bien plus impressionnants. Elise se débarrassa de son embarras en formulant les règles du jeu.

S’il ne s’était agi que d’un jeu… mais pour Elise, elle avait déjà trop perdu et encore beaucoup à conquérir.

D’un grand cri poussé à l’unisson, les cauchemardesques silhouettes filèrent à chaque coin de rues. Une à une, les portes s’ouvrirent à la volée pour recevoir les tapageurs. Les poignées de bonbons s’offraient à profusion, en échange de quelques airs faussement terrifiés. Elise ne prit malheureusement pas le bon parti – et, chaque fois qu’une nouvelle porte s’ouvrait à elle, se n’était pas sans avoir connu le précédent passage de ses compères.

Elise était désespérée, tandis que son sac ne s’alourdissait que difficilement. Au bout d’une paire d’heures, on se réunit enfin. Elle n’avait pas triomphé de la course. Finalement, elle ne désira plus qu’une chose : que la prochaine porte s’ouvre sur le visage de Papa et Maman.

Pauvre Elise… La voilà repartie sous l’air austère des arbres secs et du vent glacial de la nuit venue. Elle n’avait pas compté ses friandises, dissuadée par une honte trop grande. C’était bien là le gagne-pain de tout cet orgueil qui avait été le sien.

Papa et Maman ne furent même pas là pour la recevoir, trop occupés qu’ils étaient à apprécier respectivement leur soirée. Elisa laissa échouer son sac au pied du canapé et s’y écrasa de tout son long. Un coussin sur son visage vint retenir ses quelques sanglots, aussitôt assisté par les restes de son égo.

Ce ne fut pas sans entendre de nouveaux coups à la porte. Elise se releva d’un grognement pour ouvrir.

Des enfants plus sommairement déguisés réprimèrent un geste de recul à sa vue. Elle se délesta alors de son masque pour les rassurer et les interrogea du regard. Pour toute réponse, on lui tendit des paniers vides.

« Maman, appela alors Elise dans un soupir. On en demande encore. »

La réponse que glissa Maman depuis l’antre de sa cuisine – d’où de bonnes odeurs s’évadaient déjà – déconcerta toutefois Elise : « Encore ! Mais c’est que j’ai déjà tout donné. »

Elise se tourna à nouveaux vers les minois étrangement sages et attentifs. Elle bégaya, chercha de maigres excuses, avant de se résigner à baisser les bras. Ceux des enfants restaient paralysés dans l’expectative.

Elise sut alors ce qui l’attendait. Dans une résolution plus digne, elle s’en alla repêcher son sac de gourmandises et le présenta aux enfants affamés. Une foule de cris de joie anima alors le groupe à la vue des bonbons.

Il n’en demeura pas – tout fut donné.

Elise trouva son cœur étonnement plus allégé, en écho à son propre sac désormais vide. Ce qu’elle avait obtenu si insidieusement avaient été retourné avec plus de raison.

On s’assembla autour de la table et Maman présenta les bonnes courges qu’elle avait pris tant à cœur de cuisiner. Si elle se soucia du sac vide, elle ne démontra rien – tout comme Papa. D’un commun accord, ils s’étaient bornés à faire de ce repas un festin apprécié de tous.

« Alors, finit toutefois par s’enquérir Maman après avoir servi les dernières parts de son carrot cake. Comment as-tu apprécié ta soirée ?

– Bien, mais je l’ai préférée à la maison. » Répondit Elise d’un calme qui impressionna tant Maman que Papa. L’assurance qu’elle semblait avoir trouvé en se quittant son costume lui donnait un nouveau visage. « J’ai découvert qu’il y avait plus de bonheur à donner qu’à en recevoir. »

Papa et Maman se considèrent un instant du regard. Puis, armée d’un franc sourire, Maman se leva pour dégager la table. A son retour, ce ne fut cependant pas les mains vides : elle tenait entre ses mains un petit sac, chargé de toutes les confiseries dont Elise avait pu faire la demande.

« Je pensais que te réserver une part te ferait plaisir, s’expliqua Maman. Car, comme tu le dis si bien, il y a toujours plus de bonheur à donner qu’à en recevoir.

FIN


Je savais d’avance, en écrivant cette nouvelle, que je courrais le risque de reproches. En France, en effet, Halloween ne doit en aucun cas figurer parmi les valeurs des chrétiens – il faut croire que je suis une chrétienne bien pauvre, si l’on considère les nombreuses fois où j’ai eu l’occasion de participer à cette joyeuse fête.

Cette nouvelle n’est donc pas pour critiquer Halloween, quoiqu’ici elle ait servi de cadre à l’erreur de notre jeune protagoniste. Cette nouvelle est plutôt pour encourager les cœurs à une bonne motivation et utilisation de cette fête : ceux qui conduisent non seulement au partage de bonbons, mais aussi à beaucoup de joie.

Il est d’ailleurs intéressant que j’ai été inspiré le nom « d’Elise » pour ce personnage, si l’on considère sa signification : « plénitude en Dieu ». Pour moi, vivre Halloween – et toute autre fête pour ne pas citer Noël même – devrait correspondre à cette recherche : non pas de chercher la plénitude dans la reconnaissance des autres ou dans les choses matérielles, mais de profiter avec un cœur ouvert à la plénitude que Dieu accorde en ces instant.

Ecrire cette nouvelle était pour moi l’occasion de fêter Halloween – même si plus spécialement – comme il ne m’a pas été donné la chance cette année de pouvoir me réunir avec ma famille ou mes amis. Cela a été l’occasion d’une bonne tisane ainsi que d’une table de travaille ornée de décorations d’Halloween et d’automne – sans oublier un petit fond de musique pour rappeler cette merveilleuse saison. Face à moi, le spectacle d’une fenêtre derrière laquelle sont survenus alternativement un beau soleil puis un beau ciel encombré. J’espère donc que vous profiterez de cette lecture autant que j’ai pu profiter de cet instant d’écriture.

Joyeux Halloween à tous ! Et n’oubliez pas qu’il y a toujours plus de bonheur à donner qu’à en recevoir.


2 réflexions sur “Un Sacré soir d’Halloween

  1. That is a tremendous story, Gwen! I wish it could be published somewhere.

    I’ll send you my Halloween anecdote soon. Right now, I’m waiting for Erwan to ring the doorbell, and off we go! I wish you were with us!!!

    Much love,

    Grandpa

    Aimé par 1 personne

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