
La page blanche. Elle n’épargne aucun écrivain. Pire : elle fait souvent son angoisse. On peut se demander comment une telle forme de pureté peut ainsi éprouver. Parce que les mots souillent – les mots rendent humains.
Finalement, ce qui inquiète l’écrivain, c’est de ne pouvoir concrètement s’exprimer. Cela n’est pas un manque d’inspiration, ni le manque d’un désir. Au contraire : c’est souvent en ces moments que l’envie d’écrire ce fait le plus ressentir. Ce qu’il manque, c’est une passion : ce mélange de noirceur et de tons clairs qui caractérisent le cœur humain. La page blanche, c’est quand l’écrivain se sent vide.
Du moins, l’en est-il pour moi.
La page blanche a marqué plusieurs fois mon parcours, certaines plus longuement et intensément que d’autres. Plus récemment, elle m’a frappée en ce mois de décembre – une occasion parfaite pour méditer un peu plus sur ce sujet pourtant si peu singulier.
Voici mon témoignage et mes astuces pour les jours où la passion me manque.
Quelque chose ne va pas, mais ce n’est pas l’écriture
Souvent, lorsque la page blanche s’oppose à ma folle envie d’écrire, c’est souvent signe d’un problème que je suis incapable de percevoir. Les neurones tournent, mais ne riment à rien. Le vide s’invite à moi, avec l’impression d’une absence totale de sens.
On se pensait disponible à écrire, mais en vérité on ne l’est pas. Une part de sa conscience reste préoccupée par le tacite problème : elle ne pourra se rendre disponible avant de le démêler.
Ce mois-ci, différentes circonstances ont fait que mon esprit ne pouvait se prêter à l’écriture en toute tranquillité. Il y avait d’abord tout le travail demandé, pour cette fin de semestre – sans compter l’approche des partiels pour début janvier. D’autres soucis qui traînent depuis bout de temps et grossissent avec l’âge. Puis, sommes toute, il y a la crainte de ne pouvoir écrire, malgré que l’on s’en accorde le temps.
Si nous avons l’impression que la page blanche est des plus étrangères à nos états d’âmes d’humain, elle en est au contraire tout le tableau. Elle montre notre faiblesse ; c’est en cela que nous en avons peur. Nous aimerions exprimer toute notre pensée et notre cœur, mais il n’y a pas de mots pour répondre à l’urgence. Il y a juste cette page, pour rester vide en écho à ce qui règne en nous.
Besoin d’aide
Lorsque ça ne va pas, nous savons tous que nous avons besoin d’aide. Mais pour l’écrivain l’exercice n’est pas des plus faciles : lui, un être souvent bien discret sur ses états d’âme, n’assurera pas forcément de prévenir son entourage ou ses lecteurs, par crainte de ne les décevoir. De plus, rappelons que l’écriture se fait plutôt dans l’ombre, sans le moindre appui possible – du moins, jusqu’à la préparation en édition.
Lorsque la page blanche me fait signe, j’éprouve souvent le besoin d’en parler – mais à qui ? Il n’y a pas grand monde pour me suivre au quotidien ! De même, qui donc pour connaître suffisamment l’écrivain qui est en moi ? Il n’y a personne pour me comprendre parfaitement.
Ces derniers temps, cela se formule en ce nouveau besoin : celui d’un coach. Depuis septembre, je ressens cruellement le besoin d’un accompagnement sur mon projet pour progresser – car après sept années de débrouillardise, je me sens à présent trop lasse pour considérer tous les défauts de ma plume. J’ai besoin que l’on me guide, sans pour autant faire le travail à ma place. J’ai besoin d’un œil neuf sur mon travail et ma manière de fonctionner – qui, quoiqu’elle ait beaucoup progressé, est loin du parfait.
Pour le moment, hélas, je demeure seule. Parfois, je parviens tout de même à me retrousser les manches et à poursuivre comme de coutume. D’autres fois, c’est la page blanche qui me rit au nez mon manque.
Chercher ailleurs
Une chose est sûre : on ne trouvera rien à rester cloué face à cette page blanche. Si celle-ci peut témoigner de notre problème, elle n’en offrira jamais les réponses.
A tout problème est une solution bien différente. Si cela relève d’un autre domaine que de l’écriture, ce n’est certaine pas par elle que nous y remédierons – quoiqu’elle puisse aider à organiser ses idées et poser des mots sur nos doutes et incompréhensions.
Encore une fois, je pense fermement que l’activité d’un écrivain est liée aux circonstances de sa vie : si les bonnes conditions ne sont pas réunies, cet écrivain ne pourra jamais écrire. Si donc l’écrivain nécessite de l’aide, il doit pouvoir sortir de son antre pour s’en procurer. Si l’écrivain manque de prendre soin de lui-même, il ne prendra pas bien soin de ses propres créations.
Pour aller plus loin : lire mon article « Prendre soin d’un écrivain »
Pour ma part, je sais lorsque j’ai besoin de sortir pour me vider la tête ou me dépenser par le sport. Je sais également lorsque mon corps nécessite de l’énergie ou du simple réconfort d’une douceur. Ce dont j’ai besoin, je fais en sorte de le pourvoir sans attendre.
Certains problèmes, malheureusement, ne tiennent pas uniquement de notre fait, comme dans le cadre de relations ou de pressions extérieures. Il est tout de même de notre devoir de s’assurer à ce que cela n’entache pas notre activité de l’écriture – pourquoi pas, au contraire, s’en inspirer ? C’est le moment de sortir nos vieux journaux pour les poursuivre : écrire non plus pour un public, mais pour dresser une situation personnelle. C’est ce que j’ai décidé d’accomplir, en cette période de l’Avent : chaque jour, à côté de mon roman, je prends un temps pour écrire à moi-même. C’est une manière pour l’écrivain de se ressourcer : quand les mots ne viennent pas sur la page, il faut jouer avec celle-ci. Griffonner quelques mots. Les déplacer sur la page puis les transformer en phrases, en idées. On ne cherche plus à faire sens, mais on invite le sens à se révéler de lui-même.
Reformuler l’écriture
Dans ces moments, c’est la page blanche qui me montre le plus de sens. Lorsqu’elle se déguise de mots confus, l’écriture apparaît dans tout son essentiel. La vérité est la suivante : l’écrivain a besoin de la page blanche ; car, autrement, l’écriture perdrait tout son sens.
La page blanche, ce n’est plus le moment de chercher les mots, mais plutôt de s’écouter. Elle révèle notre rapport à l’écriture : comme dans n’importe relation, si nous cherchons à conduire entièrement les choses, nous finissons par taire tout à fait notre compagnon. L’écriture, pourtant, a aussi droit à la parole et, plus encore, a de quoi nous surprendre de bien des manières.
Nous sommes des êtres de qualité, capables de création. Mais nous sommes aussi des êtres de faiblesse, avec tout à apprendre à nouveau. Ou, bien souvent, tout à réapprendre.
Il faut reformuler l’écriture, la découvrir autrement, si nous souhaitons poursuivre notre voie.
Pour cela, tellement de solutions – et peut-être aurez-vous à cœur de me partager les vôtres en commentaires. Pour ma part, je trouve dans mon caractère de bilingue une grande aide à redéfinir l’écriture, comme deux langues n’expriment jamais tout à fait une même idée. Si je suis bien plus à l’aise dans ma langue maternelle, le français, mes études en anglais ont permis d’assouplir ma seconde plume et d’acquérir un large vocabulaire. Alors, maintenant, lorsque la page blanche me frappe, je laisse un nouveau sens paraître sous ma seconde langue.
C’est ainsi qu’est né, il y a deux semaines, ce court poème que je vous partage en toute humilité ci-dessous. Ce poème est mauvais, si l’on considère qu’il ne respecte pas vraiment les règles poétiques de la littérature anglaise (j’ai toujours été une bien piètre poétesse). Mais ce poème est également bon, pour ce qu’il a à dire sur les sentiments qui m’avaient alors étreints face à la page blanche : avec le puissant besoin d’écrire, quoique en totale incapacité.
Come, come, Winter Bird
From the highest to be heard
Let the spread of your wings
Be the share of good tidings.
Sing, sing, Winter Bird
Come deliver thy true word
For my soul is weary.
And my heart ever heavy.
Feed, feed, Winter Bird
The course of a dying whisper.
My hands are too cold
To keep any strong hold.
I’m alone, Winter Bird
With nothing to be served.
For ever myself troubling
In the making of idle writing.
L’oiseau du poème n’est évidemment autre que l’allégorie de mon rapport à l’écriture. L’hiver, non seulement en référence à la dernière saison, symbolise le froid désert traversé dans mes vaines tentatives d’exercices à l’écriture.
D’une plus large façon, je suggère à l’écrivain de ne jamais abandonner l’écriture lors de la page blanche, mais plutôt de s’en saisir plus fermement. Ce ne sera évidemment pas pour poursuivre un projet, mais bel et bien pour tester les mots, et ce toujours dans le secret le plus total. Retrouvez votre rapport à l’écriture ; de la découlera votre passion manquée.
Pour ma part, je peux dire que cet article a été ma page blanche, duquel un nouveau sens de l’écriture a pu se glisser à moi pour me chuchoter à l’oreille. J’espère qu’il aura également su faire germer en vous de nouvelles idées qui sauront vous être de précieux guides.
Quelle est votre expérience de la page blanche ? Apparaît-elle de façon récurrente ou ne vous dérange-t-elle qu’à de rares occasions ? Comment pourriez-vous l’expliquer ? Comment souhaitez-vous dès à présent considérer cet obstacle ? Je vous souhaite à tous de tirer de la page blanche le nécessaire pour poursuivre plus fermement sur la voie de l’écriture.
