
J’ai été longtemps dissuadée de lire les œuvres de J.R.R Tolkien : moi qui n’ai jamais été une grande fervente des univers complexes et des descriptions longues, je n’en voyais pas bien l’intérêt. Ma curiosité grandissante pour la littérature classique, notamment anglophone, m’y conduisit malgré tout, il y a quelques mois, en commençant par la lecture du « Hobbit ». Je le dévorai. Ce livre n’étant pas le pire, je me résolvais de ne pas poursuivre davantage pour m’éviter toute déception – mais là encore, la curiosité était plus forte.
La veille des vacances de Noël, il ne me fut plus possible de résister davantage à la tentation, me lançant dans la longue aventure que représente « Le Seigneur des anneaux ». Mais il demeurait un obstacle : un avant propos de l’auteur, que je ne pouvais me décider à zapper. Qu’avait donc Tolkien a dire sur son œuvre ? Manifestait-il quelques opinions sur l’écriture ? Il fallait que je sache – cela était primordial pour comprendre son œuvre.
Tolkien m’a tellement convaincue par ces quelques pages que je savourais par la suite même les plus longues des descriptions et infimes détails sur son univers. Car j’avais trouvé un autre auteur avec qui résonner.
Tolkien, je le pense en toute honnêteté, a su faire preuve de bien des qualités dans l’écriture – qualités que je souhaite vous partager dans cet article, dans l’espoir qu’elles vous inspirent à votre tour.
#1 – Patience et intérêt
Il n’y a pas à dire : Tolkien est sûrement l’un des écrivains les plus patients de l’histoire. Car si le « Hobbit » ne mit pas longtemps à faire son apparition, il lui fallut pas moins de 14 années à clôturer sa trilogie du « Seigneur des anneaux ».
Comment ne pas s’y décourager ? Tolkien ne pouvait sûrement pas mesurer le prochain succès de sa trilogie ; comment poursuivre sans connaître par avance le retour qui lui serait fait ?
Je pense que la réponse se trouve dans l’intérêt que portait Tolkien a son travail et qui lui était bien plus chère récompense que nulle autre encouragement de ses lecteurs. Tolkien était un homme passionné – de bien des choses. Il aimait se laisser remplir de l’histoire et des mystères de notre monde, de se laisser habiter par ces récits venus de mythologies et de langues anciennes. C’est ce qui d’ailleurs a su inspirer ses livres – simplement, Tolkien ne vivait pas seulement de cela.
« The composition of The Lord of the Rings went on at intervals during the years 1936 to 1949, a period in which I had many duties that I did not neglect, and many other interests as a learner and teacher that often absorbed me. »
J’aime cette citation qui indique son intérêt pour son métier de professeur à l’université (enseignant la linguistique et la littérature), mais aussi sa volonté de toujours en apprendre plus. C’est une chose que je me suis découverte également : rien ne sert d’écrire si nous ne portons plus d’intérêt pour les autres choses. Car alors, il n’y aurait plus grand chose pour alimenter notre plume !
Tolkien ira plus loin : il est tellement passionné par son travail qu’il se donnera tous les moyens de le faire parvenir à publication. Sans aucun moyen pour financer un quelconque soutien professionnel, Tolkien s’occupa lui-même de taper tout son manuscrit et de le retaper si nécessaire. Sachant la chose colossale, il valait mieux se munir de patience…
#2 – Indulgence
Une autre qualité que présentait Tolkien était son indulgence envers lui même et son travail. Je cite notamment :
« It is perhaps not possible in a long tale to please everybody at all points, nor to displease everybody at the same points; for I find from the letters that I have received that the passages or chapters that are to some a blemish are all by others specially approved. »
Tolkien savait pertinemment que son travail ne saurait plaire de bout en bout, et que chaque lecteur est composé de ses propres goûts et opinions. Cela ne faisait en aucun cas de son roman un mauvais roman.
Par la suite, il dira :
« The most critical reader of all, myself, now finds many defects, minor and major, but being fortunately under no obligation either to review the book or to write it again, he will pass over these in silence, except one that has been noted by others: the book is too short. »
J’apprécie cette humilité de sa part de ne pas décrire son œuvre parfaite, ou en tout cas de ne pas lui prêter plus grande valeur dû à son succès. Pour autant, si défauts il y a, Tolkien est prêt à taire son perfectionnisme pour les exposer au monde.
Tolkien ne suivait pas non plus de rigoureuse méthode d’écriture, mais plutôt son inspiration. Ainsi, il lui arrivait d’écrire un chapitre avant un autre, d’ajouter à ses romans de ses brouillons longtemps délaissés dans un tiroir. Tout lui était utile et il lui plaisait d’écrire ce que l’instant lui dictait : ce n’est pas pour rien si tant d’œuvres ont été publiées sous son nom à titre posthume !
#3 – Prendre plaisir
Ce qui lui permettait certainement une telle indulgence était le plaisir qu’il tirait bel et bien de l’écriture.
C’est ce qui a participé au retardement de la rédaction de sa trilogie : son envie de plonger plus profondément encore dans les mystères de la création, en s’imaginant un univers et son histoire, ainsi que les qualités linguistiques des langues qu’il s’est amusé à inventer, était plus prenante.
Tolkien n’était nul autre qu’un créateur, à l’image du Dieu de sa foi, lui un catholique. A cela, je ne peux que me comparer : l’effort de création me rapproche du divin et me permet d’en comprendre ses profondeurs. Je pense qu’il en allait de même pour Tolkien : il y avait cet appel, un besoin de créer, un besoin d’exprimer.
#4 – Laisser la voix au lecteur
Si Tolkien écrivait beaucoup pour sa propre satisfaction, ce n’est pas pour autant qu’il demeurait sourd aux remarques et demandes de ses lecteurs.
Peut-être est-ce cela qui l’a motivé à écrire sa trilogie, au travers de ces 14 années de travail et d’invention : la demande si pressante d’une suite au « Hobbit ».
« When those whose advice and opinion I sought corrected “little hope” to “no hope,” I went back to the sequel, encouraged by requests from readers for more information concerning hobbits and their adventures. »
Pas seulement aimait-il entendre l’opinion de ses lecteurs, mais il lui était essentiel de leur réserver une part active de la pensée et de l’imagination. Pour lui, l’écriture ne sert pas à délivrer un message, à l’imposer sur la conscience de ses lecteurs. Si l’écriture relève de vérité, il est au lecteur de la discerner par sa propre expérience.
« I cordially dislike allegory in all its manifestations, and always have done so since I grew old and wary enough to detect its presence. I much prefer history, true or feigned, with its varied applicability to the thought and experience of readers. I think that many confuse ‘applicability’ with ‘allegory’; but the one resides in the freedom of the reader, and the other in the purposed domination of the author. »
#5 – Ecrire pour faire vivre
Enfin, Tolkien finit par répondre à une des questions les plus posées par ses lecteurs : pourquoi avoir écrit ses romans ?
« The prime motive was the desire of a tale-teller to try his hand at a really long story that would hold the attention of readers, amuse them, delight them, and at times maybe excite them or deeply move them. As a guide I had only my own feelings for what is appealing or moving, and for many the guide was inevitably often at fault. «
La réponse est simple, comme ne l’attendaient certainement pas ses lecteurs. Mais elle est aussi tout bonnement vraie pour la plupart des écrivains : nous désirons seulement faire connaître la vie à nos lecteurs. Les bercer ou les secouer d’émotions. Les confronter à de nouvelles expériences qui leur permettront de questionner leurs idées. Nous nous faisons guides, mais demeurons nous-même des guides bien humains dont il faut parfois savoir se méfier.
« An author cannot of course remain wholly unaffected by his experience, but the ways in which a story-germ uses the soil of experience are extremely complex, and attempts to define the process are at best guesses from evidence that is inadequate and ambiguous. »
Il est évident que notre expérience en tant qu’être humain donne généralement le ton à nos propos. Mais il ne faut pas oublier que bien des choses extérieures nous influencent et nous inspirent – et fort heureusement ! L’univers que nous partageons est alors plus large et plus accessible à tout un panel de lecteurs. L’écrivain souhaite faire vivre son lecteur autrement, mais il doit d’abord vivre par lui-même de nouvelles choses, se laisser guider par les acteurs de sa vie.
J’espère que cet article aura su vous éclairer un peu plus sur la vision de Tolkien sur l’écriture et vous encourager par de nouveaux conseils. N’hésitez pas à partager vos propres impressions par commentaire, ainsi que le nom d’autres auteurs dont vous aimeriez en entendre davantage.

Merci pour cet article, très intéressant ! Prendre plaisir, écrire pour faire vivre, quel beau programme !
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