L’écrivain est-il artiste ?

Ma grand-mère aimait beaucoup faire. Elle savait cuisiner, peindre, décorer, broder – elle écrivit même un livre pour laisser un précieux héritage à ses petits-enfants. Elle avait l’œil pour les choses et notait ce que beaucoup d’autres ne savaient voir. Ce plaisir de la vue lui était essentiel : il lui fallait constamment voir du beau et du bon autour d’elle.

Toutefois, lorsque l’on énonçait ses nombreux talents, ma grand-mère s’empourprait de confusion. « Je n’ai rien d’un artiste, assurait-elle. Je copie, simplement. »

C’était un fait : chacune de ses peintures tenaient d’un modèle. Toutes ses créations s’inspiraient de ce qu’elle voyait. Elle n’avait jamais connu ce génie de l’artiste, qui tire du néant à l’improviste et comme touché par des révélations surhumaines. Ses œuvres n’en étaient pas moins belles

On peut dire que je ressemble beaucoup à ma grand-mère, et pas seulement dans mon besoin insatiable d’occuper mes doigts à de la création. Mais d’où vient donc ce sursaut de création ? Peut-on toujours le rapprocher à l’art ? Plus spécifiquement, peut-on qualifier quiconque, y compris l’écrivain, d’artiste ?

Je n’ai pas de franches réponses à ces questions, mais je vous propose quelques-uns de mes réflexions.

La technique

En France, il y a une mode : celle de croire que tout s’apprend. Si donc tel était le cas, nous pourrions parler d’une « technique » pour acquérir l’écriture – une technique que tous pourraient acquérir.

Il est vrai : tout le monde apprend un jour ou l’autre à écrire, dans le moyen de communiquer. C’est là la première qualité de l’écriture et celle-ci s’acquiert à force d’une discipline. Dirait-on pour autant que tous sont capables d’écriture comme l’est un écrivain – c’est à dire, d’émouvoir, de toucher, de transporter son lecteur ? Je ne crois pas. L’écriture est accessible à tous, comme le sont beaucoup d’autres « arts », jusqu’à un certain degré. La déception est d’ailleurs souvent tragique pour tous ses esprits rêveurs qui, dédaignant leurs propres qualités, se lancent dans l’exercice de l’écriture sans succès.

S’il existait une technique d’écriture, cela voudrait également dire que tous seraient à la même école. Or, je ne crois pas qu’un seul écrivain fonctionne de la manière qu’un autre. C’est d’ailleurs ce qui fait la beauté de chaque livre, unique en son genre, comme unique est son auteur. Je n’utilise certainement pas les mêmes techniques que la plupart de mes contemporains, et tant mieux ! Cela fait de mon parcours quelque chose de plus authentique et personnel.

Mais alors, s’il n’y avait pas de réelle technique à l’écriture, cela demande-t-il un trait particulier de son utilisateur ? Nécessite-t-il justement d’une sensibilité relative à l’art ?

La création

On associe souvent l’art a un acte de création. Cependant, peut-on qualifier toute création d’œuvre d’art ?

Si l’on revient à l’étymologie de ce mot, « créer », qui nous vient du latin creare, on voit que cela signifie tout bonnement « faire« . Il en va de même pour les origines de notre « poésie », du grec ancien poiêsis qui signifie « faire/créer » et qui était souvent rattaché à un acte divin. L’écriture serait-elle donc avant tout un acte de création ?

J’irai plus loin : dans la Bible, c’est par la Parole, le « mot », que tout a été créé. Il y a sûrement quelque chose du beau, de l’artistique, dans la création du monde, mais il y a aussi et surtout selon moi une forme de puissance.

Je considère entre autres la création d’outils et d’objets du quotidien tout aussi valable, sans leur rattacher forcément une valeur artistique. Ils peuvent correspondre à une volonté de l’esthétisme, mais aussi et surtout à un fort pragmatisme : c’est le cas lorsque je me décide à créer plaid et coussins en patchwork, décors au point de croix, ou encore des carnets pour écrire. A l’époque, notamment, on faisait avec ce que l’on récupérait, et ce pour répondre à un vrai besoin.

L’écrivain serait-il donc avant tout un créateur ? C’est ce que semble penser Tolkien, en parlant de l’écrivain fait à l’image de Dieu et ayant ainsi une qualité de « Sub-creator« . Pour ma part, c’est ainsi que je ressens également les choses : la création rejoint un désir de retrouver la perfection, avant la chute dans le jardin d’Eden. Dans un même temps, il n’y a d’autre choix que de refléter cette triste réalité ; nous nous faisons alors porteurs d’un message, de la vérité.

Une création de longue durée

Un autre aspect qui distingue, selon moi, la création à l’art est le suivant : l’art est définitif tandis que la création ne cesse jamais tout à fait de s’épandre et d’évoluer. On ne peut ajouter ni retirer à une œuvre d’art, tandis qu’un objet de création peut se trouver changé avec le temps, en vue de le réparer ou de l’améliorer.

Contrairement à une peinture ou à une sculpture, l’on peut toujours ajouter ou supprimer les éléments d’un livre, ou bien le réécrire entièrement. Je suppose qu’il en irait de même pour une composition en musique, à vouloir retirer ou non le jeu d’instruments ou accélérer le tempo ; ainsi que du jeu au théâtre, qui ne connaît jamais les mêmes acteurs ni les mêmes interprétations.

D’une certaine manière, il faut prendre soin de « sa création« . Le modeler petit à petit pour le faire parvenir à une forme de perfection. Un livre n’est jamais fini, comme le travail de l’écrivain se trouve sans limite – du moins, jusqu’à sa mort. Même après publication, ses livres pourront subir une seconde édition. Autrement, l’écrivain serait un artiste bien complexé, à ne plus pouvoir retoucher à son œuvre.

La beauté

Pour autant, l’écriture ne peut se trouver totalement dénuée de beauté – le sens de l’art en lui-même, dont le rôle est d’éveiller les sens de son percepteur.

Du moins, si l’on entend lui donner une telle qualité… mais chez beaucoup, celle-ci n’est pas indispensable : car les lecteurs de nos jours préfèrent une intrigue claire et captivante à une vraie œuvre d’art.

J’aime donner de la beauté à mon texte – au grand dam de mes lecteurs qui n’en comprennent que trop peu… Pour autant, je ne peux dire que ce soit le but même de mon ouvrage : je m’attribue plutôt le rôle de messagère, cherchant à rapporter de mon mieux la vérité.

Je pense qu’il en allait de même pour Hugo et tous les auteurs qualifiés « d’engagés ». Ces auteurs avaient un réel talent et se démarquaient du commun par ce « degré » différant des autres écritures. On pourrait donc croire que l’écrivain nécessiterait, en plus de cette expression si libre et distincte, d’un point de vue particulier sur le monde – une façon de voir ce qui demeure caché aux autres, afin de le leur révéler.

La sensibilité

L.M Montgomery est une de ces autrices à revendiquer parfaitement cette vision si particulière du monde, une sensibilité singulière qui la liait au divin et à la création terrestre. Lorsqu’elle vagabondait dans les campagnes pour rencontrer les éléments de la nature, il lui semblait comme un voile qui lui était ôté de ses yeux et lui donnait de voir une réalité autre, de beauté et de grandeur. Elle apparentait cela à une certaine vision du paradis qui l’attendait.

Ce n’est pas non plus pour rien si C.S Lewis et Dickens passaient le plus clair de leur temps à marcher et discuter avec leur entourage : ce n’était que pour mieux observer et apprendre, de ces vérités trop longtemps tues et recouvertes. L’écrivain pourrait donc connaître cette même sensibilité de « l’artiste », lui-même généralement vu comme marginal. Ce qui le différencierait toutefois, serait sa vision de cette réalité qu’il partage avec lui : l’artiste cherchera généralement à l’embellir, dans le but de faire rêver, tandis que l’écrivain cherchera plutôt à étaler la vérité dans toutes ses nuances de gris.

Finalement, je pense bien que l’écrivain et l’artiste feraient bon colloques, et il ne serait pas rare de voir ces deux tendances se disputer dans même être. Pour autant, comme il existe de nombreuses techniques d’écritures, il existe un bon nombre de types d’écrivain… Pour ma part, je m’associe davantage à cette figure du « créateur », ainsi que du « messager » chargé de délivrer l’entière vérité – si telle chose était possible.

Il n’y a pas de mauvaise perception des choses, aussi je vous encourage à partager vos opinions en commentaire ! Si vous écrivez, quelle image d’un écrivain vous ressemble le plus ? Quoi qu’il en soit, poursuivez vos objectifs dans l’écriture, qu’elle soit personnelle ou à partager, que vous pensiez ou non correspondre à un « degré » de talent – mais attention à ne pas trop idéaliser la chose !


5 réflexions sur “L’écrivain est-il artiste ?

  1. Article et réflexion très intéressants ! Merci pour ce partage.
    Je considéra les écrivains comme des artistes. Que pourrait-ils être d’autre ?
    Je considère le livre physique comme un objet d’art, pour preuve, des livres se vendent à des milliers voir millions d’euros.
    La beauté d’un livre, qui touche quelque chose en vous, ou qui l’illumine, cette façon de vous transporter ou même de changer votre vision des choses ou de la vie, pour moi, c’est artistique.
    Merci beaucoup pour cet article !

    Aimé par 2 personnes

    1. Je n’ai peut-être pas assez insistée sur cette idée, mais je pense qu’il y a beaucoup d’écrivains qui n’écrivent pas « pour l’art » , mais plutôt pour délivrer un message ou autre 😉 J’ai cette tendance là, même si j’associe souvent les deux. En tout cas, merci pour ton avis, ta lecture et tes encouragements !

      Aimé par 1 personne

      1. Intéressant, mais l’art est aussi là pour délivrer un message et poser des questions, en faite je crois que les plus grandes œuvres écrites le font… Peut-être que ces écrivains qui n’écrivent pas « pour l’art » le font sans le vouloir…
        Tout est une question de point de vue. Merci pour ta réponse et cette réflexion importante !

        Aimé par 2 personnes

  2. Cet article active mes méninges et c’est bon ! J’aurais qualifié l’écrivain comme un artiste indéniablement. Néanmoins, vos nuances me questionnent. J’ai cependant difficulté à imaginer qu’un écrivain n’a pas d’attrait pour les autres arts. Et il existe différentes façons d’écrire qui ne puisent pas forcément dans l’existant. Donc, je dirai que l’écrivain est artiste. Merci pour ce questionnement et ces éclairages.

    Aimé par 1 personne

    1. L’écrivain est parfois aussi plus scientifique qu’artiste 😉 finalement, c’est plutôt du bon ces différences, qui nous apportent tellement une variété de points de vue !
      Merc pour votre lecture 😉

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