
Je n’ai pas besoin de vous répéter combien ma lecture des œuvres de Tolkien m’a marquée – d’abord en découvrant son avant-propos, puis en lisant sa biographie rapportée par Humphrey Carpenter. De mes recherches sur la vie et la vision de cet écrivain, je vous propose quelques faits – ainsi peut-être pourrez-vous mieux cerner cet étonnant et singulier personnage ainsi que son œuvre souvent mal interprétée.
#1 – Cap au Cap
J’ai eu la bonne surprise de découvrir que Tolkien n’était pas né sur le sol anglais, cette terre qui lui sera si chère, mais plutôt dans l’Afrique du Sud où son père banquier avait été muté ! Il n’y resta évidemment que peu, mais conserva quelques bons souvenirs de sa toute jeune enfance qui lui laissèrent plusieurs fois dans l’envie d’y retourner.
Pour autant, on ne peut pas dire que Tolkien ait été un grand voyageur, préférant largement ce qu’il connaissait. Il faut croire que son imagination lui suffisait à voyager…
#2 – Enfance
Tolkien a plutôt vécu une enfance difficile. Non seulement perdît-il très tôt son père – d’où la décision de sa mère de retourner sur le sol anglais – mais aussi, plus tard, sa mère, à l’âge de douze ans. Il fut donc témoin des difficultés de sa mère à pourvoir seule aux besoins de ses enfants, plus ou moins soutenue par sa propre famille.
Ce titre modeste poursuivit Tolkien toute sa vie ; même lors de ses grands postes à l’université, l’argent ne lui étant clairement pas objet de satisfaction.
#3 – Petit campagnard
Du fait de ces difficultés financières, les Tolkien durent vite se résoudre à une vie de campagne qui ne fut pas pour déplaire John Ronald Reuel – ainsi que son père avait décidé de le nommer, après le nom de ces ancêtres. On peut dire que cette vie à la campagne fut le berceau de son imagination, là où, accompagné de son jeune frère, il put s’engager volontiers à l’aventure.
Plus tard, lorsqu’il dût habiter la ville pour ses études ou son travail, cette campagne et sa liberté lui manquaient tant et si bien qu’il ne ratait jamais une occasion pour y retourner.
#4 – Education religieuse
Si la mère de Tolkien était issue de famille anglicane, ce ne fut que dans le sacré de la foi catholique qu’elle trouva consolation et force, après la mort de son époux. Ce changement de conversion ne fut pas sans éveiller des tensions au sein de la famille, mais ce fut cette éducation que reçut Tolkien. Sa foi catholique le lia plus particulièrement à sa mère et se renforça à la mort de celle-ci.
Heureusement pour lui et son frère, ils ne demeurèrent pas seuls, mais furent pris sous la bienveillante aile d’un religieux, Père Francis. Ce dernier pourvut au nécessaire des deux jeunes hommes – en outre, il finança secrètement une bonne part des études de Tolkien. John Ronald Reuel considérera longtemps ce Père Francis comme un exemple de la foi et de la sagesse dans les décisions.
#5 – Sociabilité
Tolkien était indéniablement un caractère des plus sociables – il lui était particulièrement difficile de rester trop longtemps seul sans pouvoir partager ses idées ! Cette qualité fut pour lui une arme hors pair : malgré son milieu modeste, il parvint sans difficulté – et au grand contraire de C.S Lewis – à se faire bon nombre de bonnes amitiés.
Ses premiers amis, notamment, partageaient un fort goût pour la communauté, au point de former leur propre : le T.C. B.S (le Tea Club puis le Barrovian Society). Ils se réuniraient régulièrement dans un salon de thé pour discuter de grands sujets, étudiants passionnés qu’ils étaient.
#6 – Une vraie romance
La vie de Tolkien aurait tout du roman. Les conditions de son entourage ainsi que ses nombreuses expériences furent sûrement nécessaires à la constitution de son caractère ainsi que, si j’ose dire, de son œuvre.
Vraie romance, c’est ainsi en tout cas que l’on qualifie son histoire d’amour auprès d’Edith, une jeune femme également de milieu défavorisé et plus âgée qui deviendrait plus tard sa femme.
Mais ô combien le chemin ne fut-il pas évident ! Du fait de la pression de Père Francis pour abandonner sa grande idylle et ainsi ne point être déconcentré de ses importantes études – qui, rappelons-le, étaient financées par le Père Francis lui-même – Tolkien dut se faire patient et même abandonner tout entrevue et toute communication avec la jeune femme pendant trois ans. Après le succès de son diplôme, Tolkien la recontacta tout aussitôt – pour apprendre qu’elle était déjà fiancée… Mais après des retrouvailles précipitées, Edith fut convaincue de plutôt engager ses fiançailles avec Tolkien.
On ne peut pas dire de cette histoire d’amour avoir connu le parfait – loin de là ! Du fait de la jeunesse de Tolkien et des idées que tous deux s’étaient construits sur leur union, celle-ci fut d’abord le fruit de nombreuses tensions et incompréhensions. Pour autant, ensemble ils demeurèrent, jusqu’au bout de la vie d’Edith.
#7 – La guerre des tranchées
Il n’est nullement des plus étonnants que Tolkien, accompagné de ses amis, fut l’un des nombreux jeunes soldats anglais à s’engager pour la guerre – le faisant d’ailleurs suspendre ses engagements avec Edith. Si lui en revint particulièrement sain et sauf – reconduit au pays par une étrange maladie, mais nullement mortelle – ses amis ne connurent pas pareille chance et ce fut la fin du T.C. B.S.
Cette expérience terrifiante de la guerre marqua clairement l’écrivain qui ne voulut plus jamais connaître pareille répétition. De même que la perte de ses grands amis lui fut terrible, lui pour qui la camaraderie était essentielle à sa vie.
#8 – Philologie
Il y avait bien une passion qui remuait Tolkien, bien plus que son amour pour sa femme et au grand dépit de celle-ci : la philologie !
Il faut comprendre que Tolkien avait été enseigné les langues très tôt par sa mère et s’était ainsi révélé un goût particulier pour les langues mortes. S’il s’ennuya bien vite avec le grec et le latin, sa découverte du Welsh ainsi que de nombreux autres dialectes celtiques, puis scandinaves, occupa bien vite toute son attention.
Plus encore, on peut dire que Tolkien aimait les mots. Il les dégustait sur une feuille, comme il vibrait à leurs sonorités. Le célèbre professeur Joseph Wright fut pour lui tout l’exemple nécessaire pour constituer sa propre carrière dans le sujet et devenir un expert renommé. Tolkien écrivit d’ailleurs plusieurs essais ainsi que des traductions et commentaires de vieux manuscrits.
En lisant son œuvre, c’est cette précision pour le mot qui me frappe effectivement le plus – Tolkien ne fait pas vainement parler ses personnages ni ne forme d’images trop peu claires. Ses mots s’enchaînent avec une certaine harmonie, fluidifiant même les plus lourdes descriptions !
En ce qui concerne le choix des noms propres dans ses œuvres, cela lui était souvent un casse-tête : il fallait que cela sonne parfaitement ! Il modifia donc régulièrement ces noms, portant souvent à confusion, mais ne s’arrêtait jamais avant d’avoir trouvé pleinement satisfaction. Ce fut le cas de Frodo qui ne trouva son nom qu’après bon nombre d’essais et de changements…
#9 – Coder et décoder
Du fait de sa passion pour la philologie, il était évident pour Tolkien de s’essayer à la création de ses propres langages… Cela commença très tôt, d’abord en jeu enfantin avec sa cousine, puis dès ses premiers contacts avec les langues mortes. Pour se faire, Tolkien utilisait ces langages dans ses propres carnets et journaux intimes – un moyen sûr de s’assurer que personne ne pourrait les lire. L’exercice était parfois difficile, puisque Tolkien lui-même ne savait pas toujours décrypter ce qu’il avait écrit.
Assurément, bon nombre de ces langues inventées furent incluses dans son œuvre littéraire, caractérisant particulièrement chacun de ses personnages.
#10 – Mythologie
En plus de son amour pour le mot, Tolkien était émerveillé par ces vieilles histoires justifiant le monde : les mythes. Cela peut surprendre, lorsque l’on connaît sa fidélité à sa foi catholique. Pour Tolkien, toutefois, mythologies n’étaient pas incohérentes à la vie chrétienne – au contraire, elles étaient aussi de belles illustrations de la vérité :
L’histoire de son univers est un aspect très particulier à Tolkien, il lui fallait tout justifier. Cette mythologie n’apparaît que partiellement dans ses titres les plus connus, mais elle nous donne de voir la force créatrice qui se dégageait de la plume de l’écrivain. Il lui fallait avant tout construire pour porter un message.
#11 – Une vie de lettres
Après l’obtention de nombreux diplômes, Tolkien fit peu à peu son chemin vers l’enseignement : d’abord de vieux dialectes et d’ancien anglais, ainsi que dans la littérature de ce vieux monde. Il proposa également son savoir sur la philologie, traçant la route à d’autres élèves bien prometteurs. On peut dire que Tolkien n’a jamais quitté l’université.
Ni la voie de l’apprentissage, d’ailleurs : car les groupes de discussions auprès d’autres enseignants n’en finissaient plus, pour partager leurs savoirs. Tolkien n’était que peu à la maison, toujours à profiter de la compagnie de ses collègues avec qui il partageait régulièrement un verre. Il ne rentrait que tard, dans la nuit, pour finalement s’atteler toujours plus à la création et ce qui deviendrait des chefs d’œuvre de la littérature…
#12 – La plus belle amitié
C’est dans ce milieu universitaire que se croisèrent finalement Clive Staple (surnommé Jack) et John Ronald Reuel, d’abord avec beaucoup de réserves. Puis, se découvrant des intérêts communs, il ne fut pas rare de les voir discuter longtemps dans les groupes qu’ils se partageaient.
Ce n’était que le début d’une belle amitié. En effet, beaucoup les verront si proches qu’ils interrogeront leur homosexualité – un affront assez conséquent pour le catholique qu’était Tolkien. Les deux hommes appréciaient plus particulièrement la compagnie l’un de l’autre que celle de femmes, mais il n’en allait pas plus que d’une bonne camaraderie.
Ce serait d’ailleurs Tolkien qui serait en bonne partie à l’origine de la conversation de C.S Lewis pour la foi chrétienne, discutant toujours plus profondément de ce fameux mythe de « la résurrection du Christ ». A son grand regret, toutefois, Lewis se rapprocha plutôt de la foi anglicane et, rapidement, de douloureux débats les disputèrent.
L’amitié ne dura pas, du moins pas totalement : de grands froids, notamment du fait du succès de chacun, finit par les distancer. C’est avec beaucoup de larmes que Tolkien pleura cependant la mort de son grand ami, à qui il devait tout le soutien nécessaire à son important travail.
#13 – L’aventure du Hobbit
Le Hobbit n’aurait jamais sûrement trouvé la voie de la publication… si ce n’était pour le vif intérêt d’une jeune étudiante ! En effet, pour Tolkien, il ne s’était agi que d’un jeu : d’abord pour charmer l’imagination de ses enfants, le soir, puis par challenge personnel. Tolkien n’avait d’ailleurs pas fini son œuvre – et ne l’aurait sûrement jamais fini – lorsqu’il le partagea à son étudiante curieuse. Qui fit passer le mot à un proche ami dans l’édition…
Tolkien, comme Bilbo, fut porté face au choix d’une nouvelle aventure : la publication. Comment ne pas refuser ? C’est ainsi qu’avec plus d’entrain, Tolkien reprit la plume et termina puis peaufina son œuvre, une histoire destinée à un jeune public.
L’œuvre gagna un succès retentissant, à la grande surprise et satisfaction de son auteur de éditeur. Cependant, un cri des lecteurs désarma Tolkien : on voulait en savoir plus sur les hobbits. L’écrivain, qui n’avait décidément pas prévu cette suite de son aventure, dut tout de même s’y résoudre…
#14 – Vite, une suite…
L’écriture, quoiqu’un large plaisir dans son quotidien, ne pouvait pas se faire une priorité – Tolkien aimait trop sa vie à l’université et ses petites réunions pour entièrement s’y dédier.
On continua de l’encourager, voire de le presser – l’éditeur cherchant un nouveau succès – mais Tolkien connaissait un large défaut : le perfectionnisme. Autrement dit, il ne rendrait rien sans pleine satisfaction et conviction.
Pour que la trilogie du Seigneur des anneaux voie le jour, il fallut à Tolkien pas moins de 12 années de travail, suivies de deux années de préparation à la publication. Mais cela ne fut pas le plus grand des obstacles : Tolkien n’était pas prêt à consentir à une publication auprès de son premier éditeur. Lorsqu’il trouva second intéressé, toutefois, les demandes plus exigeantes sur la transformation de son texte le découragea d’un différent contrat et il dut céder au premier.
Une raison pour ces réticences était que Tolkien ne pouvait considérer une telle publication sans l’égle publication de son œuvre majeure : le Silmarillion. La difficulté étant que la totalité de son œuvre comportait un million de mots, et que son éditeur ne pouvait se montrer trop friand…
#15 – Le Silmarillion
Tolkien n’a jamais vraiment considéré son œuvre du Seigneur des anneaux comme la pleine suite du Hobbit, mais plutôt de celle de son œuvre principale : le Silmarillion. Il faut le dire : ses deux premières publications n’avaient que peu en commun ! L’un était une histoire pour enfants, tandis que l’autre abordait un ton plus radical et grave. Cela lui fut d’ailleurs beaucoup critiqué : on ne pouvait concevoir un livre pour adulte avec des personnages si peu crédibles.
Le Silmarillion comporte l’œuvre complète de Tolkien – celle de toute sa vie. Elle a démarré tôt, avec le célèbre et long poème des deux amants séparés, ainsi que de l’origine de la dame de Lothlorien. Elle décrit toute la mythologie que créa son auteur, inspirée des mythologies plus vieilles de ce monde.
Par cette œuvre et plus extraordinairement, Tolkien avait le sentiment d’écrire la vérité, quoique par le biais de la fantasy. C’était pour lui un moyen de parler des réalités que construisaient sa foi, afin de permettre une vision plus libre et plus profonde de la vraie relation avec la création et le divin. Chaque élément, en l’occurrence, lui était parfaitement inspiré et utile : c’est l’exemple des elfes qui, quoique d’apparence trop parfaits, existaient pour décrire l’état du monde « avant le péché », alors que l’homme vivait en harmonie avec la création et était conduit par l’innocence et la droiture.
Il y aurait encore beaucoup à dire – notamment sur la question de la place de la femme dans son œuvre, si peu présente, comme l’écrivain lui-même se sentait plus particulièrement proche de la camaraderie des hommes. Pour nourrir votre propre curiosité, je vous conseille la lecture de la biographie citée plus haut, particulièrement agréable et claire. Autrement, je ne peux que vous encourager à découvrir par vous-mêmes ces fameux titres de Tolkien… s’ils sont loin d’être parfaits, comme l’entend bien Tolkien lui-même, ils savent parler de leur auteur, ainsi que de toute l’inspiration dont ils ont été le fruit.
