
J’ai une tendance à garder tous les brouillons de mes écrits, même les plus mauvais et les plus lâches… Ils me permettent de prendre conscience de la progression de ma plume. Mais aussi, ils sont un rappel du commencement.
Que s’est-il passé ? Pourquoi ai-je saisi la plume pour ne jamais plus pouvoir la reposer ?
Il y a, dans cet événement, quelque chose de l’inexplicable, ainsi que du puissant. La vérité est que je n’ai jamais pu y trouver de réponse satisfaisante. Il fallait que j’écrive, voilà tout. Comme d’une démangeaison. Une démangeaison qui couvre un plus grand appel.
J’avais les clefs en mains, il ne me fallait plus que commencer.
Je n’ai pourtant pas commencé par le plus beau… Encore aujourd’hui, je doute pouvoir fournir quoique ce soit de très glorieux. Mais cela n’importe que peu – ce qui importe plutôt, est ce que ces mots on a dire.
Qu’à donc à dire ce vieux texte écrit pas une jeune adolescente de treize ans ? Peut-être pas sa propre histoire, mais une histoire tout de même, et aux accents de vérité. Je vous propose donc de découvrir quelques lignes retenues dans mes archives, rédigé quelques temps après m’être plus concrètement lancée dans l’écriture.
Je vous préviens, cela ne sera pas bien joyeux…
M comme Maladie et Mortelle
Jeanne sourit. Enfin. La tempête s’était calmée. Les gros grêlons meurtriers et le vent rugissant laissaient place à présent aux doux flocons se déposant sur la terre glacée sans un bruit. La fillette aurait pu rester des heures durant, près de la fenêtre embuée, si une quinte de toux grave ne la remmena pas dans le présent pour la énième fois.
Elle glissa de son siège pour s’approcher pas à pas du grand lit qui occupait tout l’espace de la pièce. Une femme dans la quarantaine y était allongée, secouée de spasmes et la peau anormalement blanche. Délicatement, Jeanne posa sa main sur le front de sa mère et soupira. Une intense chaleur ne cessait de croître sous sa paume.
La mère s’étouffa dans une nouvelle avalanche de toux et Jeanne la regarda souffrir, sans espoir.
– Tout va bien, maman, la rassura-t-elle de son mieux, la gorge nouée, en lui prenant la main. Tout ira pour le mieux.
Ses mots résonnèrent dans le vide, incompréhensibles. Elle-même n’y croyait pas tellement. Son état s’empirait d’heure en heure. Seul un miracle pouvait sauver sa mère de ce mauvais pas.
– Jeanne, souffla difficilement la femme de sa voix sifflante. Ch… chante pour moi.
La fillette prit une grande inspiration et commença. Sa voix se répercuta dans toute la pièce jusqu’à que l’on n’entende plus les crachotements de sa mère. Pas un seul instant elle n’osa lâcher la main de sa chère mère, de peur de la perdre à jamais. Tout en chantant chaque chant appris, dans toutes les langues connues, elle caressa la peau brûlante et sèche.
Jeanne savait que le simple fait d’entendre la voix de sa fille donnait du courage à la femme. Du courage pour contrebattre et rester près de son enfant. Elle-même était trop jeune pour la perdre. Comment survivra-t-elle, dehors, dans le froid et dans la famine ? Un moment, ses yeux se posèrent sur la fenêtre et les flocons qui tombaient en une danse. Elle voulut pleurer, mais se l’interdit en fermant ses paupières et en redoublant d’efforts dans la mélodie. Elle ne devait penser qu’à cela. Chanter.
Les heures passèrent sans que la jeune fille n’ait quitté le chevet de sa mère. Un frisson lui monta l’échine et elle passa sur ses épaules une chaude couverture. Le feu dans l’âtre venait de s’éteindre. Elle mit quelques bûches, ralluma les flemmes et souffla dessus pour qu’ils prennent le bois. Après quoi, elle veilla que sa mère ne soit pas trop près de la chaleur et revint s’asseoir près d’elle.
Soudain, l’une des toux fut plus violente et la pauvre femme se plia de douleur dans ses draps trempés de sueur. Paniquée, Jeanne se releva et tenta de calmer sa mère. Mais elle ne put s’empêcher de s’écarter en apercevant le sang couler des lèvres et tacher les draps blancs. Heureusement cela ne dura que quelques secondes et Jeanne put reprendre possession de ses sens. Sa mère s’était endormie et sa voix avait retrouvé son apparence sifflante.
– Je vais dehors, maman. Je ne serai pas longue.
Même si elle ne pouvait l’entendre, Jeanne préférait la prévenir comme au bon vieux temps. Elle jeta sur ses épaules sa cape foncée et poussa la lourde porte en bois. L’air glacial la frappa de plein fouet. Elle attrapa le seau, ignorant le froid mordant et s’accroupit sur le sol. Elle remplit bientôt le récipient de neige. Ses doigts engourdis serrèrent la hanse de métal et elle retrouva la chaleur de la petite cabane.
Elle s’approcha de nouveau du lit de la malade et commença à étendre la neige sur son front. À son grand soulagement, la peau refroidissait. Tout à coup, ses mains s’arrêtèrent de bouger et elle se pencha sur la poitrine de sa mère. Il n’y avait plus aucun mouvement. Ce n’était pas la glace qui refroidissait le corps. La femme ne respirait plus.
28 août 2015
Je vous vois déjà sourire aux nombreuses erreurs, pour certaines même flagrantes, et aux intrépides maladresses… Mais, après tout, la liberté de l’écrivain ne commence-t-elle pas par là ?
Les adolescents ont une richesse qu’ils cherchent souvent à exprimer : c’est une période pleine de déferlants bouleversements et l’écriture apparaît alors comme un solide bateau. Les mots forment les pensées – les poser sur papiers aident à une meilleure approche. Je n’en ai pas été dispensée – tout ce que je découvrai, je devais l’écrire.
C’est peut-être pour cela, d’ailleurs, que ce texte met tant l’accent sur les émotions de la jeune fille – l’archétype d’une adolescente. Je n’ai évidemment jamais réfléchi à la raison d’écrire un tel texte, au sujet d’un événement que je n’avais alors pas encore expérimenté : la mort. Pour autant, je pense aujourd’hui que ce texte en dit plus qu’il n’en exprime d’abord. Oui, il est question de deuil. Plus spécifiquement, du deuil constant auquel doit faire face tout jeune de cet âge.
L’adolescence, c’est d’abord la fin d’une enfance – une période, pour ma part, marquée essentiellement par la joie. L’adolescence, c’est l’enterrement de toutes ses premières idées pour se confronter à de nouvelles réalités.
L’adolescence, c’est dire au revoir à ses parents. Prendre les rennes, quoique maladroitement, pour se risquer en dehors du cocon familial. C’est aussi se confronter pour la première fois à une vraie forme de solitude. Puis le devoir de survivre, malgré les craintes.
D’un point de vue plutôt stylistique, on remarque une germe des phrases biscornues et alambiquées... un grand mal qui me dure encore aujourd’hui. Dans un même temps, on remarque un certain sens du détail, quelques points de vue qui peuvent surprendre tout en entrant parfaitement en écho avec la situation. Ma plume n’a peut-être plus grand chose à y voir, mais ce texte reflète bel et bien ma personne.
Vous n’en pensez sûrement pas grand chose, mais quelque chose me poussait à partager, ôter un instant le voile pour montrer l’imparfait des débuts de l’écriture. Je pourrai avoir honte de ce texte – je choisi de l’estimer pour ce qu’il est.
Vous aussi, je vous engage à prendre soin de ces précieux bouts de votre chemin.
