
Le style est probablement la chose que l’on interroge le plus dans un roman après l’intrigue. La question du style, on me la pose encore au quotidien : qu’est-ce que c’est ? Plus encore : comment sait-on que l’on tient le bon bout ?
Par le passé, le style était tout ce qui faisait la réussite d’un écrivain – c’est à dire, gagner un tant soit peu l’intérêt des éditeurs. Peu importait la réussite de la narration – si la plume sonnait bien, on en discutait dans les larges cercles. Aujourd’hui, cette fameuse question du style a perdu de sa valeur : le public cherche davantage à être excité par sa lecture, à lire de ces « romans à sensations » ne s’embarrassant pas d’un effort du style, mais se concentrant plutôt sur le développement des idées.
Faut-il pour autant négliger la question du style ? Il y a un risque à l’éluder tout à fait : le style peut être gage à produire cette sensation tant voulue par les lecteurs. Un style trop « haut » et vous en perdez – un style trop « bas » et vous vous perdez vous-même. La question n’est pas évidente à trancher : qui satisfaire le premier ?
Si vous me suivez depuis un moment, vous avez sûrement pu remarquer l’évolution de mon style. Cette évolution est due à trois facteurs :
- Ma propre exploration de ma plume et de mes envies
- L’influence de mes lectures
- La critique de lecteurs parfois injuste, parfois très juste
Mais qu’ai-je vraiment tiré de tout cela ? Qu’ai-je compris du style après toutes ces années d’écriture ? Je vous révèle enfin, en toute humilité, mon ressenti…
L’amour des mots
« Dans cette culture, où l’esprit est déjà piétiné, les mots ne sont pas utilisés pour leur sens, mais uniquement pour leur sonorité. On se gargarise de sons. »
Dany Laferrière, Journal d’un écrivain en pyjama
J’aime les mots. Pour moi, il n’y a pas d’histoire sans mots – notre propre histoire n’a cessé d’être ponctuée de récits, rendus vite efficaces par l’invention de l’écriture. L’homme a toujours besoin des mots et n’hésite pas à développer et transformer les sens pour faciliter leur usage.
Pendant longtemps, toutefois, je ne les ai pas assez aimé. Je dévorais les dictionnaires à la recherche de nouveaux mots, car ceux du quotidien ne me satisfaisaient plus. L’effort était poussé par l’orgueil : ma plume n’était pas vue comme « suffisante » aux yeux de mes lecteurs, pourvue essentiellement de mots trop simples – trop vulgaires.
J’oubliais que le devoir de l’écrivain n’était pas tant d’inventer des nouveaux mots, mais de revêtir ces mots trop longtemps déshonorés.
L’excellence de la simplicité
« Ne croyez surtout pas que ce soit si facile de faire simple. L’art ultime. Pour cela on doit faire confiance à sa capacité de faire monter tranquillement l’émotion. Et de la faire redescendre sans que le lecteur ait envie de fermer le livre. «
Dany Laferrière
Lorsque j’ai lu pour la première fois Dany Laferrière, ses réflexions en matière de style m’étaient impensables : abandonner toute élégance des longues phrases pour savourer la banalité des mots ? Je ne voulais rien entendre – les écrivains français du temps passé n’écrivaient-ils pas ainsi, chargés de phrases alambiquées et de longs pavés ?
Pour moi, il n’y avait rien de plus lassant qu’un style trop simple – en cela, je ne pouvais que donner raison à mes critiques. Si l’on ne peut se démarquer des autres, à quoi bon ? Mais ce n’est pas en imitant les plumes du passé que l’on trouvera sa propre marque…
J’ai compliqué ma plume – cela non plus n’a pas plu. Je n’en ai eu que cure : maintenant, c’était moi qui décidais de ma plume. Si un style alambiqué me ressemblait plus, alors soit.
Je n’ai pas pris garde à une chose : la nécessité pour le lecteur de connecter. Et comment autre que par le choix des mots ?
Finalement, comme le dit Dany, ce n’est pas le mot qui importe le plus, mais plutôt l’émotion qui conduira le lecteur à poursuivre sa lecture. N’est-ce pas après tout le mot qui est au cœur de l’émotion ? Et si les mots ne sont pas capables d’exprimer telle émotion, à quoi bon l’effort du style ?
Mirage
« Pour ma part, je crois qu’il est préférable que le lecteur pense que les mots naissent sous ses yeux. Qu’il ait l’impression que tout est facile. Et qu’il pourrait faire autant à l’instant. »
Dany Laferrière
Si ni les mots simples ni un style alambiqué ne font l’affaire, alors que faire ?
La notion de simplicité n’est en fait que mascarade : elle est là pour aider à la lecture. La vraie force de la plume d’un auteur est de faire croire qu’on peut l’imiter, lorsque cela est tout à fait impossible. Les mots sont partagés de tous et aident à la connexion et compréhension du message – mais l’expression de ce message ne peut qu’être l’initiative de son auteur.
Ce ne sont pas les mots qui font le style, c’est l’auteur.
On peut se charger de tous les dictionnaires pour se faire le plus original – même les dictionnaires pourtant ne peuvent écrire à eux seuls une histoire. Cela ne veut pas dire que l’on a pas le droit au dictionnaire : au contraire, c’est un outil hors pair. Mais comme tous les meilleurs conseils d’écriture ne sauraient faire de vous un écrivain, les dictionnaires ne viendront pas compliquer votre style – ou plutôt, pas dans le bon sens.
Alors oui, on reconnaîtra votre effort de chercher du nouveau par les mots. Et si, au lieu de vous fatiguer à former du nouveau vocabulaire, vous révisiez le sens de ceux qui sont à votre portée ? C’est ce que j’ai commencé à faire : un nouveau monde s’est ouvert à moi.
Le vrai poids
« Le jeune écrivain d’aujourd’hui doit rompre avec cette tradition. Il doit retrouver le poids du mot. »
Dany Laferrière
Les mots, je ne les aimais pas suffisamment. Je les triais – conservais les uns et jetais les autres à la poubelle. Et si chaque mot tenait une valeur inédite ? Et si, même le plus insignifiant d’entre eux, tenons un outil grammatical, changeait irrémédiablement le sens de la phrase par sa simple présence ou absence ?
Testez-le. Prenez une phrase, enlevez-lui des mots. Que comprenez-vous ? Les mots, dans leur grand rôle, font chacun vivre la phrase, donnent une image ou une couleur qui lui est propre.
En cela, mes cours de linguistiques m’ont été bien utiles : interroger le mot dans sa place, dans son choix plutôt qu’un autre, nous aide à prendre conscience de sa valeur. Un mot se suffit à lui-même – si bien choisi, il élimine la nécessité d’en ajouter d’autres, et donc d’ajouter du poids (si ce n’est évidement pas l’effet recherché). C’est là une de mes mauvaises tendances : parce que je n’accepte pas le vrai poids du mot, je le complète par d’autres – à en rendre mon texte quasi illisible.
Un conseil : lisez votre texte à voix haute. Vous vous rendrez vite compte du poids en trop et des mots à revoir. Le but n’est pas non plus de faire perdre toute consistance à votre texte – le mot seul est utile à peu de choses. C’est dans sa complexification par sa relation avec d’autres qu’il est le mieux choisi.
Epithètes, attributs, pronoms – savourez-les tous à leur juste valeur, mais n’en abusez pas si vous ne voulez pas noyer le sens de votre sujet sémantique.
Le mot dans sa splendeur
« Pour avoir tout son sens, le mot a besoin de ses trois qualités : le son, la couleur et la saveur. »
Dany Laferrière
Les mots sont plus complexes que nous le pensons. Prenons un mot des plus utilisés : être. Ce mot a une longue histoire : si j’en fait la recherche, je découvre qu’il nous vient du latin vulgaire « essere » avant que l’ancien français ne le récupère sous sa forme modifiée « ester » (lui-même influencé par un autre verbe du latin, « estare », debout). Son sens se trouve donc vite démultiplié.
Plus encore, ce verbe est utile à deux choses : utilisé seul, il tient son plein sens ; utilisé avec un participe, il transforme le sens du verbe, et peut même être sous-entendu (le participe devient alors adjectif). Le verbe « être » se décline en de nombreuses formes : un coup en deux syllabe, un coup en une. Son poids n’est pas bien important, ce qui facilite son glissement un peu partout dans la phrase, où il pourrait nous être utile.
J’irai plus loin : être porte encore son petit chapeau, qui marque son histoire. Son son chapeau, être est comme dévêtu de son caractère supérieur, à mes yeux. Son premier son est léger, il monte – mais le son « t » qui suit ramène le mot à la terme ferme, le fait exister parmi nous. Pour moi, être, c’est exister tant vers les hauteurs que dans les profondeurs de la terre.
Commencez-vous à savourer ce simple et petit mot, être ? Moi oui – je ne le regarde plus dans son insignifiance.
(NB : je n’ai jamais fait de linguistique pour le français – tout ce que je décris là n’est que le fruit de mon interprétation personnelle et n’est pas à prendre pour garantie – mais j’imagine que le principe n’est pas si loin d’une langue à l’autre)
Je pense que c’est ce que veut dire Dany Laferrière : qu’en écrivant, il faut pouvoir trouver tous les sens des mots que nous choisissons. Arrêtez-vous, lorsque vous écrivez – interrogez votre mot. Observez ses contours, faites-le sonner sur votre langue, recherchez son histoire. Armez-vous d’un dictionnaire, non pas pour conquérir la langue, mais pour se laisser apprivoiser par elle.
Il n’y a pas d’autre secret au style : il faut savoir apprécier les mots à leur juste valeur. Le style, ce n’est pas non plus simplement l’effort d’un premier jet – c’est un travail sur plusieurs réécritures. Vos phrases ne sonneront peut-être pas justes en premier lieu et réclameront votre attention. Ecoutez-les – laissez votre plume parler, se justifier pour elle-même. Et croyez-moi, cela n’est pas aussi simple : nous sommes des créatures d’action, lorsque l’urgence est souvent vraiment de s’arrêter pour écouter.
J’espère que cet article vous aura convaincu par mon expérience. Quant à moi, c’est une discipline qu’il me faut toujours travailler – que je ne cesserais sûrement de travailler. Je n’ai plus qu’un espoir : écrire ce qui me remue, à la langue de mes lecteurs. Vous aussi, cherchez toujours la clarté de votre message avant tout embellissement.
