
J’ai toujours fonctionné avec un plan – c’est à dire, depuis que j’ai voulu terminer un roman. Autrement, il n’y aurait sûrement jamais de point final : c’est ainsi, sans carte, je me perds.
Cela ne signifie pas que c’est là l’ultime moyen d’y parvenir – je suis persuadée que certains se débrouillent mieux sans cartes, ne sachant pas les lire. D’autres prendront la boussole : les grandes lignes du récit les guident. Ou encore – comme Anne Lamott que je vais citer – certains ont besoin de trouver le point culminant de leur paysage – ou récit – pour entrevoir le reste. En somme, chacun sa façon.
Le plan est un outil formidable – c’est ce que je veux développer dans cet article. Mais le plan a aussi ses failles – je veux aussi vous parler de ceux-là. Finalement, de manière assez ironique, on peut dire falloir un plan au plan : savoir se préparer et rester averti pour ne pas tomber dans les pièges, comme un voyageur trop préoccupé par sa carte ne verrait pas bien où il pose le pied…
Délimiter son espace
Je suis facilement effrayée par les imprévus. Je ne suis jamais trop prévoyante – il y a de tout dans mon sac.
Si l’on connaît dans tout domaine de notre vie des règles, c’est simplement parce que l’on ne pourrait faire sans. Les limites assurent notre protection à bien des égards (comme le code de la route) ou la protection de l’autre (comme le code pénale). Une société ne pourrait se faire sans ses contraintes et ses limites. Les bordures d’un chemin permettent également de ne pas en dévier trop souvent – il nous faudra attendre la prochaine intersection pour changer de direction. Bref, il est bon même à l’écrivain de savoir se limiter.
Le plan est souvent vu ainsi : comme un moyen de conserver le contrôle sur son histoire, en planifiant d’avance le chemin tout en prenant en considération les limites du terrain plutôt que de risquer de les repousser en les testant trop chaudement. Le plan évite les idées qui s’éparpillent et sortent du cadre de l’intrigue – il assure la cohérence du tout. En somme, un bon plan pour ceux qui ne parviennent pas à brider leur imagination.
On ne peut jamais tout prévoir
« All you can give us is what life is about from your own point of view. You are not going to be able to give us the plans to the submarine. Life is not a submarine. There are no plans. »
Anne Lamott, Bird by Bird.
On ne peut malheureusement toujours être dans le contrôle – il y a à craindre l’inévitable, ce plan étranger qui vient bouleverser les nôtres comme un boulet de canon.
Cela peut être un obstacle, ou une simple rencontre au bord de la route, de toute apparence inoffensive, mais qui assurera un retard. Quelque chose à changer, dans le projet, nous oblige à nous arrêter pour reconsidérer le chemin. Coupé dans notre élan, nous sommes frustrés, peut-être même décidés à remettre le départ au lendemain pour avoir les idées plus claires – triste ironie quand on pense à l’objectif du premier plan !
Pire : il arrive que nous nous épuisons. Si sûrs de notre plan, nous fonçons à tête baissée pour se heurter à la terrible réalité : erreur de jugement. Nous ne sommes pas capables d’arriver au bout si simplement. Ou alors, nous brûlons des étapes essentielles – la clef que nous devions trouver pour ouvrir la porte n’a pas été trouvée. La porte reste résolument fermée.
Ces imprévus ne sont pas à voir si négativement – ils nous forment, que nous le voulions ou non, tout au long de notre vie. Ces épreuves qui nous coûtent, en temps et en soucis, nous accordent d’avancer d’un pas plus sûr, une fois passées. Les questions qu’elle apportent creusent notre art, impressionnent notre plume – pour la transformer inévitablement. Accueillons-les.
Le choix des autres
« That’s what a plot is: what people will up and do in spite of everything that tells them they shouldn’t. »
Anne Lamott, Bird by Bird.
L’écrivain n’est jamais seul. En dehors de ceux qui le secondent dans son travail – si telle était sa chance – il y a les personnages. Les personnages n’aiment pas tant que l’on commande à leur place.
Essayez donc : écrivez tout ce que vous aviez prévu. Placez vos mots dans la bouche de vos personnages. Tirez sur leurs ficelles. Ils seront comme morts – inexistants et inconstants.
Ecrire, c’est aussi accepter les voix qui nous accompagnent – des voix même souvent tirées de nos réalités. C’est accepter que notre opinion seule ne compte pas – avoir l’humilité de dire « je ne suis plus si sûr(e) de mes mots ». Il m’arrive d’écrire des choses que je ne pense pas, mais que mes personnages, eux, ne croient pas moins fermement.
Le lecteur aussi est à prendre en considération (j’en parlerai plus particulièrement dans un autre article) : lui aussi, parfois, nous laisse peu de choix dans ce que nous disons – ou plutôt, dans la manière dont nous le disons. Si nous nous contentons d’ asséner nos vérités, fortes sont les chances de perdre notre lecteur. Il nous faut réfléchir avec stratégie et réserves, au moyen non de changer l’opinion de notre lecteur, mais de le conduire à une nouvelle idée qu’il sera convaincu de devoir accueillir, aux côtés de toutes celles qui fourmillent déjà son esprit.
Le plan peut certainement aider à cela – c’est à dire, si nous filons pas tête baissée sur nos idées.
Marcher yeux et oreilles ouverts
Finalement, c’est la tête levée qu’il nous faut conserver. Assurer un plan de départ, mais être attentif à l’entourage et aux imprévus.
Quand on fonce, on ne voit plus le paysage, pourtant si inspirant. On n’apprécie plus tant l’aventure et ses trésors, la vraie récompense qui est la nôtre. Le plan devient nos limites.
Un bon plan est un plan utile en tout temps : non pas un plan immobile, mais un plan changeant. Comme nous, le plan doit maturer, battre de ses propres ailes. Un plan sur traitement de texte, plutôt que sur papier, est généralement préférable – ou alors, le carnet se verra recevoir plusieurs versions d’un plan.
Le plan n’est pas qu’un guide vers la sortie du labyrinthe : c’est une remise en question constante de ses idées, une évaluation hors pair de la crédibilité de chaque fait et geste de ses personnages. Il donne des courbes au récit. Il ajoute des idées là où l’on ne les aurait pas vues. Il est un tremplin à l’imagination, lorsque celle-ci rase trop les réalités pauvres.
L’objectif n’est-il donc qu’à trouver destination au bout du chemin ? Le voyageur ne s’arrête-t-il pas par étapes au cours du voyage ? De même, le plan est à prendre par parties – des bonnes, comme des mauvaises. En le découpant ainsi, il est plus simple de le revoir et d’interroger tout le squelette de son récit.
Plus tard, même après écriture du premier jet, le plan doit servir. Le plan est notamment bon à constituer en partie notre synopsis à envoyer aux maisons d’édition, pour leur donner un large aperçu du travail. Le plan est un travail d’écriture en lui-même.
Le meilleur chemin, c’est d’y aller
On ne sait pas toujours comment s’équiper la première fois. Soit, on se prépare trop – soit, on oublie des ustensiles. Les chemins ne sont pas non plus les mêmes – l’aventure de l’écriture ne se ressemble pas d’un projet à l’autre. On ne peut finalement que prévoir, jamais réellement voir.
Il ne faut pas avoir peur de s’essayer à tout : un premier chemin facile sans carte ni sac de voyage pour se rendre compte de nos plus profonds besoins ; un autre plus long avec le nécessaire à notre survie. Lorsque nous aurons enfin compris de quoi nous avons besoin, nous pourrons nous pencher un peu plus sur la question de notre confort.
Comme vous l’aurez compris, mes premières lancées dans un projet d’écriture ont été les plus spontanées – avec le temps, je gagnais en endurance, mais même à quelques pages de la fin, je finissais par me perdre. J’ai compris qu’il me fallait partir avec un bagage plus conséquent – mais là encore, j’ai commencé à prendre trop gros, sans penser à ce que je pourrai prendre et laisser à chacune des étapes du voyage.
Plus récemment, j’ai voulu retourner à une écriture plus libre, sans carte, mais il y avait un réel but à cela : loin de vouloir monter un projet, je voulais partir sans objectif en tête, si ce n’était celui de renouer avec l’écriture, de partir en vraie quête de soi. Je ne le regrette pas.
Plus régulièrement, un premier voyage n’est pas suffisant – j’ai besoin de revenir sur le chemin, de le faire encore et encore, jusqu’à le connaître par cœur. Même ainsi, je garde une carte au fond de mon sac – celle-ci pourra m’être précieuse au moindre détour qui accapare soudain mon attention, et assurera que je ne me perde pas de nouveau. A vrai dire, je n’aime pas faire tout à fait le même chemin par deux fois.
Alors ne soyons pas fâchés avec les plans, mais prenons garde à la manière dont nous en faisons usage. Quand à moi, je sais une chose : ce n’est pas aujourd’hui que je cesserai d’en emporter dans mon aventure.
