Le Périple de la fleur de Mai – Nouvelle (Partie II)

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19 octobre 1620

L’hésitation me gagne enfin, après une terrible nouvelle : les provisions diminuent dangereusement. Allons-nous parvenir à notre fin ? Avions-nous pris la bonne décision, plutôt que de nous livrer aux mains de Jacques Ier ? Hélas ! Je vois bien la mort qui nous attend, devant nous. Ses orbites vides nous fixent d’une faim inassouviable et ses dents grincent. Je l’entends même parfois, la nuit, rôdant autour des corps endormis.

Papa me secoue par l’épaule. Il a raison : je ne dois pas me laisser aller, moi aussi, au désespoir ! Je m’y refuse. Quoi qu’il doive arriver, je resterai le fier soldat qui aura combattu vaillamment.

Dorénavant, je me délecte de chacun de mes repas malgré la moisissure qui a commencé à s’y installer. Je crie vers le ciel un grand « merci ». Car malgré l’épreuve, nous sommes en vie et loin d’être abandonnés.

Parfois, je repense à ma vie d’avant et me questionne sur celle à venir. Vais-je regretter ? Le confort ne sera sûrement plus jamais le même et, même après l’arrivée, beaucoup de choses demanderont du courage et de l’effort. Comment allons-nous pouvoir reconstruire toute une civilisation ? Cela prendra des années, peut-être même des siècles ! Je prie fidèlement chaque jour dans l’espoir de laisser à mes descendants une terre qu’ils pourront garder dans leur cœur et qui ne les rejettera jamais.

Je te laisse pour retourner à la contemplation de la surface scintillante des houles. Le soleil se fait de plus en plus rare, je compte en profiter au mieux !

 

27 octobre 1620

Un de nous n’a pu échapper à l’entrave sensuelle de la mort.

La nouvelle s’était d’abord propagée par les murmures puis par des plaintes assourdissantes. La maladie l’avait atteint, il y a de cela deux semaines. Le médecin a veillé jour et nuit à son chevet. En vain. La contamination s’accélère, la crainte oppresse. Qui succombera le prochain ?

Quant au corps, aux odeurs pestilentielles et les pieds à moitié dévorés par les rats, nous n’avons eu d’autre choix que de la glisser dans le ventre de l’océan, vêtu seulement d’un linceul funéraire.

Parfois, au travers du mur de nuages les éclairs sillonnent le ciel. Ils sont encore bien loin, mais la tempête approche. Je le sens sur ma peau, l’électricité de l’atmosphère qui hérisse mes poils.

Parfois, je me demande si nous avons vraiment gardé le bon cap…

 

1er novembre 1620

Et la tempête a frappé. Elle a chargé avec ses foudres à l’assaut du navire et a ordonné aux vents de le secouer. Le cauchemar ne m’a jamais semblé plus réel. Toutes les femmes se ruaient à l’intérieur tandis que pères et frères luttaient courageusement sur le pont balayé par les vagues. En bas, dans les cales, le chaos régnait. À chaque grincement des planches, nous croyions notre fin arrivée. La lampe accrochée à une poutre se balançait tel un pendule, folle. Et dans la faible clarté, des visages terrifiés, des muscles tendus. Cette fameuse nuit-là, j’ai vu la mort approcher. Du regard, je l’ai défié durant des heures. À moitié dissimulée dans les plis sombres de sa lourde robe, elle s’est contentée de me dévisager. Puis elle s’en est allée, sans bruit, tout comme la tempête.

Aucune autre vie n’a été prise au matin.

Nous nous étions tous mis à la tâche : sceaux, éponges, l’eau devait être rejetée par-dessus bord. Ce travail collectif nous a finalement appris à nous serrer les coudes.

Je profite de quelques instants de répit pour t’écrire tout ceci. Je dois bien dire que cette épreuve ne m’a pas laissée indifférente. Au contraire, j’ai compris une belle chose : ce que cela signifie, d’espérer et de vivre.

 

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