Le Périple de la fleur de Mai – Nouvelle (Partie III)

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3 novembre 1620

Un miracle ! Si une vie nous a été enlevée, une autre est apparue ! Tôt ce matin, Mme Hopkins a montré des signes de contractions. Le médecin est tout de suite accouru à son chevet et, à l’aide de main forte, a procédé à la naissance. Oh, si tu voyais ce petit bout de chaire, aux petits pieds et aux joues rosies… Je n’ai jamais vu un nourrisson aussi beau et en bonne santé !

Les Hopkins l’ont nommé Oceanus. N’est-ce pas amusant, pour un enfant né sur l’océan ?

La naissance a eu de quoi réchauffer les cœurs. Ce pauvre Oceanus ne manquera pas d’être l’objet de bien des curiosités ces prochains jours.

Je lui ai offert un petit poème. La nuit, discrètement, je suis allée lui souffler ces quelques mots à l’oreille. Et dans son sommeil, je crois bien avoir remarqué un petit sourire. Je me suis bien promis une chose : veiller à ce que ce petit voie un jour la terre.

 

8 novembre 1620

Les claques de givre ont débuté. L’air froid nous griffe chaque parcelle de peau. L’hiver se fait pressant, il arrive avec sa grande valise blanche.

Les couvertures jonchent les planches du navire et les têtes disparaissent sous de grosses couches de laines. Les quelques passagers qui avaient pour habitude de siffler un air se sont tus. Les plus petits s’étaient endormis dans les bras de leurs mères nostalgiques et les chiens se couchaient aux pieds de leurs maîtres, le museau sous les larges oreilles. On rêvait d’un toit, d’une bonne soupe chaude entre les mains. On se demandait si on ne reverrait jamais tout cela, au bout de cet interminable voyage. Le périple de notre Fleur de Mai s’est transformé en enfer.

Puis, dans ce silence lourd et pesant, des cris ont surgi. Là, haut, perché sur un des mâts, un homme fait de grands signes. Puis, toujours secoué d’une excitation sans nom, il pointe l’horizon. De concert, les familles se sont relevées pour s’appuyer contre le bastingage. Là, à travers la brume… se peut-il ? Oui ! Les yeux s’écarquillent, une joie rugissante s’empare de nous. Les bras se serrèrent, les baisers s’échangent, la vie recommence. Car, à quelques kilomètres, une tâche se découpe parmi les flots sombres. Une terre.

Cher carnet, je ne pourrais exprimer tout ce profond bonheur qui est à présent mien. La paix est un doux réconfort, après ces longues péripéties à n’en plus finir. J’aimerais pouvoir écrire au roi, Jacques Ier, afin de lui montrer quels fiers combattants forment son ancien peuple.

Liberté ! Vie ! Nous voilà !

 

9 novembre 1620

Ça y est. Nous y sommes. Doucement, les quelques barques ont effleuré le sable. Nous n’y croyions presque pas, tant cela relevait du rêve. Les jambes se sont dégourdies, les pieds se sont posés sur la terre solide. Et nous avons couru ! Oui, nous nous sommes élancés telle une bande de faons qui découvre à nouveau la vie.

Le coin est parfait ! Nous parlons des prochaines maisons à construire, au mieux avant que l’hiver ne toque à la porte. Oh, elles ne seront pas bien grandes, mais c’est tout de même un début ! Il faudra aussi réfléchir aux cultures. Je ne sais pas bien comment nous allons nous nourrir cet hiver, mais je ne préfère pas y penser maintenant. Demain se souciera de lui-même, la peine d’aujourd’hui suffit !

Je t’écris ces mots tandis que, installée sur une dune de sable à regarder la mer froide, le vent joue avec ma chevelure. Là-bas, bien qu’on ne puisse le voir, s’étend l’Angleterre que nous avons quittée malgré nous. Il m’arrive de me souvenir de mon ancienne vie, à Londres. Je n’y étais pas des plus heureuses aussi était-il peut-être temps de changer. En observant, notre nouveau chez-soi, je comprends pourquoi tant s’obstinent à l’appeler le « Nouveau Monde ». Tout est tellement différent. Tout est beau. Tout est paisible.

Cela me fait tout drôle de savoir que nous délaissons tout derrière nous. Tout ? Non, sûrement pas. Certaines coutumes et certains savoir-faire resteront à jamais gravés dans nos esprits, jusqu’à être transmises à nos enfants et petits-enfants. Papa dit que j’ai l’âge de me marier, mais j’aimerais laisser cela à plus tard. Je veux profiter de mes seize ans pour comprendre davantage le monde et ses aspects.

Après tout, n’en ai-je pas un nouveau à découvrir ?

 

Extraits des carnets de Elizabeth Field, conservés par les fils de ses petits-fils


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