
Depuis pas mal d’années, j’ai une réputation de fervente procureuse en carnets de toute sorte. C’est ainsi : j’ai une attirance particulière pour ces outils vierges qui ont le pouvoir de conserver jusqu’aux plus terribles secrets. Pourtant, ma relation avec ces carnets a été plutôt fluctuante, tantôt très fusionnelle, tantôt bien négligée. Que s’est-il donc passé ? En quoi cette relation est-elle le reflet d’un parcours de l’écrivain assez tumultueux ?
Ce témoignage que je vous partage est sûrement celui de tant d’autres auteurs – peut-être vous reconnaître-vous vous-mêmes ? Quoi qu’il en soi, que vous consommiez sans mesures ces pages reliées ou que vous n’osiez au contraire les corrompre, j’espère que ces lignes qui vont suivre sauront vous faire quelque peu sourire.
I – La faillibilité de la jeunesse
Je n’ai jamais aimé tenir un journal intime. Il y avait quelque chose de grossier, voire insultant, dans ces conversations immatures que je pouvais y mener à moi-même. Non, pas question de garder ces stupidité qui ne faisaient que le reflet de toute ma nature puérile et fragile !
Plus tard, pourtant, j’ai commencé à sentir le fort besoin de conserver ces précieux états d’âmes du moment, non pour m’en guérir, mais pour m’en souvenir. Voir les évolutions de la vie, les grâces du quotidien – toutes ces choses ne me font plus hontes, tout du contraire ! Ainsi, je prends plaisir à relire le passé, me rendre compte de tout le chemin parcouru et se gonfler encore et encore de reconnaissance.
Il en a été de même dans ma vie d’écrivaine : quoique captivée par l’étrange charme que semblent renfermer les carnets, je ne parvenais que difficilement à me résoudre à en ouvrir la première page pour y poser quelques mots. Et alors, malheur ! Tant de regrets bouleversaient aussitôt la frêle artiste que j’étais alors. Car, là nichée entre les pages, étaient la preuve de ma plume bien maladroite. Non seulement avais-je souillé le beau produit, mais pire ! je venais de donner au monde un moyen indélébile de se rire de moi.
C’est que durant les années de collège, il est bien difficile de garder une quelque appréciation et estime de soi. Pareillement, il est terrible à un écrivain de commencer ! Les erreurs se déversent alors en masse comme pour nous étouffer – nous, nous sommes bien incapables de voir que ces prises de consciences, au lieu de nous décourager, sont bien là pour nous soulever toujours plus haut !
Ces années là, je procédais donc davantage par feuilles volantes que par carnets : c’était simple, la feuille pouvait très bien être aussitôt lancée en boule dans la poubelle ! Malheureusement, aussitôt fait, les idées ne sont plus récupérables…
Je vous rassure tout de suite : après ces sept années d’écriture, je suis parfaitement conciliée avec ma plume. Peut-être même ai-je du mal à en discerner les réelles imperfections…
II – La faillibilité des mots
Les mots sont furtifs : ils sont rapides à sortir d’une bouche et à quitter par l’autre oreille. Ces idées et images, si volatiles, sont finalement condamnées à l’oubli… Du moins, l’étaient – jusqu’à ce que l’on conçoive l’incroyable moyen qu’est l’écriture.
Oui, l’écriture conserve – tous les travaux d’historiens partiraient en fumée sans l’écriture.
Pour l’être humain bien maladroit qu’est l’écrivain, dompter l’imagination est une chose – en conserver les idées, un autre. Prendre des notes devient alors essentiel – tout comme, très vite, leur organisation. C’est là qu’entrent en scène nos fameux carnets.
Aujourd’hui, ne pas tenir de journal ni de carnets de notes me serait inconcevable. Ils sont mes outils du quotidien et complètent mon cerveau bien défectueux. Quoique les fautes apparaissent toujours par milliers – bonjour l’inattention – et que les ratures et corrections peuvent zébrer certaines pages, je n’en tiens plus rigueur. Ils sont un rappel constant de mon apprentissage qui se poursuit et se note en un belle évolution.
Ces carnets sont également les témoins de mes différentes méthodes de travail au cours du temps et rendent compte de ce qui a pu fonctionner ou non au regard de mes besoins. Je peux alors m’inspirer de ces expériences non seulement pour vous écrire sur ce blog, mais aussi pour améliorer mes propres techniques !
Certes, l’ordinateur est un outils bien pratique et évite quelques hontes par ses suppressions rapides et ses modifications possibles… pour autant, je trouve une plus grande attache dans l’utilisation de mes carnets, plus authentiques et qui laissent une certaine marge créative qu’a tendance à me bloquer l’utilisation d’instruments numériques.
III – Ces auteurs qui écrivaient et conservaient
C’est assez drôlement que je remarque combien mon fonctionnement se rapproche à de nombreux de mes modèles écrivains. Finalement, la question peut se poser : n’est pas là tout simplement une habitude d’écrivain, ce besoin et cette urgence de tout consigner par écrit, que ce soit sous la forme de journaux, de carnets de notes, ou au travers même d’échanges de lettres ?
Jane Austen a beaucoup écrit, notamment des lettres. Elle conservait dans son écritoire ses précieux essais qu’elle faisait lire presque chaque soirs à sa famille. Ces lettres, dont beaucoup on été brûlées pour en respecter le contenu secret, étaient le parfait locus de l’expressions de ses émotions et de ses idées – un peu comme un journal intime, finalement.
L. M. Montgomery a consigné presque toute sa vie dans de petits carnets qu’elle enfilait à toute vitesse. Il y avait là un besoin évident de faire de l’écriture un moyen de prendre quelques distances sur sa vie et celles des autres. C’est de là également qu’elle tirait, de toutes les anecdotes consignées de son enfance et des récits partagés, toute l’inspiration qui lui était nécessaire pour ses ouvrages.
Tolkien, comme on le sait, a eu sa réputation par sa passion pour le Wordbuilding. Pouvoir consigner toute sa création lui était inévitable et c’est ainsi que l’on retrouvait, après sa mort, tous ses travaux inachevés et qui purent faire l’objet de nouvelles publications sous formes de recueils.
Sans compter Victor Hugo, au sujet de qui l’on retrouva pareillement à titre posthume des carnets de voyages et entrées de journal, aussi publiés…
L’écrivain semble donc nécessiter à son travail d’une prise un peu plus personnelle et secrète… un ouvrage non destiné à la publication – du moins, jusqu’à sa découverte – mais qui soit la défausse de toutes ses idées et l’expression pure de son être en constante transformation.
IV – Ces carnets que je préfère
Comme je l’ai dit, il n’est pas rare que l’on m’offre un carnet… car l’on trouve ça drôle, ou bien que c’est joli. Certes, il est important de pouvoir apprécier esthétiquement un carnet que l’on utilise – mais, trop souvent, je suis tombée sous l’inconfort de certains !
Alors, qu’est-ce qui me plaît dans un carnet ?
Tout d’abord, je dois dire que j’ai des difficulté à remplir les petits : non seulement les pages se remplissent trop vite et il n’y a pas suffisamment d’espace pour organiser ses idées, mais c’est également très peu pratique pour tenir correctement son stylo – quoique j’ai une manière un peu spéciale de le tenir – et être confortable pour écrire.
Ensuite, je n’aime pas avoir de fioritures entre les pages : pas de dessins, d’illustrations, même de minuscules arabesques, qui pourraient couper à ma créativité en me mangeant tout mon espace d’expression. Si je veux y ajouter des citations et mes propres dessins, c’est à moi de le faire – car cela participe alors à la création !
Enfin, j’éprouve de plus en plus de mal avec les lignes, surtout si celles-ci sont très visibles ou trop épaisses. J’aime la page blanche ou les lignes discrètes qui n’appellent pas à un quelconque format. Bon, je ne suis pas non plus quelqu’un de visuel et il serait étonnant de découvrir beaucoup de schémas ou du griffonnage dans ces carnets. J’aime les choses simples, tout simplement.
Ainsi donc, je n’utilise pas beaucoup les carnets que l’on m’offre – désolée à tous mes proches ! J’ai besoin d’un carnet moyen, facile à transporter et peu lourd, ce qui me fait me contenter généralement des carnets justement peu chers. Autrement, j’aime beaucoup m’en fabriquer, car c’est assez simple ! Je plie des feuilles vierges A4, les relie ensemble, puis ajoute une jolie couverture en feuille cartonnée (généralement de ces feuilles à motifs qui m’inspirent, justement, et me rappellent mon univers). Ces carnets ne comportent que peu de pages évidemment (autour de 40 à 50 pages), mais ils me permettent de les consommer rapidement et facilement, tandis que le besoin se fait parfois ressentir de changer quelque fois de format !
Quelle est votre relation avec le carnet ? J’espère que cet article vous encouragera à plus de confiance et d’estimation envers votre travail, mais aussi de confiance envers ces beaux carnets qui, au contraire de respirer la poussière, n’attendent plus que d’être usés !
Pour aller plus loin : découvrez les différentes formes que prennent mes carnets !

Je me reconnais beaucoup dans cette ambivalence entre utiliser le carnet et la crainte d’en faire n’importe quoi au final ^^’ mais comme tu dis, ça a tendance à se tasser avec le temps, et le remplir sans que ce soit parfait fait justement son charme 🙂
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